Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 12.djvu/583

Cette page a été validée par deux contributeurs.
579
ERNEST MALTRAVERS.

l’atteindre, mais le mépris public et la colère de l’offensé font de lui bonne et prompte justice. Effacer deux mots d’une lettre et les remplacer par un mensonge, altérer la date pour empêcher le mariage d’un rival préféré, c’est là sans doute une trahison possible ; mais le faussaire, quelle que soit son adresse, quelle que soit la passion qui le pousse au mensonge, n’inspirera jamais aucune sympathie. Il ne mérite pas même la haine du lecteur, car il s’avilit lâchement et pour un but qu’il n’est pas sûr d’atteindre. La femme trompée par la lettre dont il a changé le sens pourra bien refuser la main du rival qu’il veut éconduire ; mais ce n’est là qu’un premier pas, et le plus difficile reste à faire. Ordinairement l’égoïsme est clairvoyant, et Lumley, égoïste et sceptique par excellence, ne doit pas espérer la main d’une riche héritière. Habitué à la discussion, à l’intelligence des intérêts positifs, il sait mieux que personne qu’un homme réduit à 20,000 livres de rente, ce qui équivaut à la pauvreté au milieu de l’aristocratie anglaise, ne peut, sans folie, prétendre donner son nom à une femme qui jouit d’un revenu net de 250,000 livres. L’amour seul pourrait combler l’intervalle qui sépare l’opulence de la pauvreté. Si Lumley veut épouser l’héritière dont la main est promise à Ernest, il n’a qu’un seul moyen de réussir, c’est de se faire aimer. S’il n’efface pas, par le charme de sa parole, par l’élégance de ses manières, par la fraîcheur de sa toilette, par un entraînement sincère ou simulé, les avantages acquis à son rival, il n’y a aucune raison pour que la fille d’un pair d’Angleterre se résigne à épouser un mendiant. En pareil cas, le métier de faussaire n’est qu’un métier de dupe. La femme qui aura renoncé à la main d’Ernest trouvera vingt partis plus avantageux que Lumley Ferrers. Or, il n’y a pas un homme familiarisé avec la vie du monde qui ne sache très bien que les trois quarts des mariages se réduisent à de purs marchés. Une héritière déçue dans sa première espérance, dans son premier attachement, consent facilement à n’être pas aimée pour elle-même, et Lumley ne doit pas l’ignorer.

Castruccio Cæsarini n’est que l’instrument des projets conçus par Lumley Ferrers. Toutes les actions honteuses qu’il commet appartiennent à Lumley. Je ne demande pas à M. Bulwer pourquoi il a cru devoir créer un barbarisme tel que Cæsarini, car il a pris soin, dans plusieurs de ses préfaces, de faire allusion à ses voyages en Italie, et sans doute il trouverait cette question bien singulière dans la bouche d’un homme qui n’a jamais visité Rome ni Florence. Je me contente de signaler le nom impossible de Cæsarini comme un