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avec un air de tendresse et de douleur inexprimable. Elle ne pouvait pas s’habituer à me voir travailler ainsi. J’aurais été son fils qu’elle ne se serait pas affligée davantage de me voir porter des fardeaux et recevoir la pluie. Sa sollicitude m’impatientait même un peu, et les efforts qu’elle faisait pour la renfermer la lui rendaient plus pénible encore. Il s’était opéré en elle je ne sais quelle révolution imprévue. Cet amour qui avait fait jusque-là, comme elle me le disait elle-même, son tourment et sa joie, semblait ne plus faire désormais que sa consternation et sa honte. Elle n’évitait plus, comme autrefois, les occasions d’être seule avec moi ; au contraire, elle les faisait naître, mais, dès que je me mettais à ses genoux, elle éclatait en sanglots et changeait en scène d’attendrissement les heures promises à la volupté. Je m’efforçais en vain de comprendre ce qui se passait en elle. Elle se faisait arracher des réponses vagues, toujours bonnes et tendres, mais déraisonnables, et qui me jetaient dans mille perplexités. Je ne savais comment m’y prendre pour consoler et fortifier cette ame abattue. J’étais dévoré de désirs, et il me semblait qu’une heure d’effusion et d’enthousiasme réciproque eut été plus éloquente que toutes ces paroles et toutes ces larmes ; mais je ressentais pour elle trop de respect et trop de dévouement pour ne pas lui faire le sacrifice de mes transports. Je sentais qu’il m’eût été facile de surpendre les sens de cette femme faible de corps et d’esprit ; mais je craignais trop les pleurs du lendemain, et je ne voulais devoir mon bonheur qu’à sa confiance et à son amour. Ce jour ne vint pas, et je dois dire, à la honte de la faiblesse féminine, que mes vœux eussent été comblés si j’avais eu moins de délicatesse et de désintéressement. J’avais espéré que Bianca m’encouragerait ; je vis bientôt qu’elle me craignait au contraire, et qu’à mon approche, elle frémissait comme si je lui eusse apporté le crime et les remords. Je ne réussissais à la rassurer que pour la voir s’affliger davantage, et accuser la destinée comme s’il n’eût pas dépendu de sa volonté d’en tirer un meilleur parti. Puis une secrète honte brisait cette ame timorée. La dévotion s’emparait d’elle de plus en plus ; son confesseur la gouvernait et l’épouvantait. Il lui défendait d’avoir des amans, et elle qui avait su résister au confesseur, quand il s’était agi de M. Lanfranchi et de M. Montalegri, ne trouvait pas pour moi le même courage. Peu à peu je parvins à lui arracher l’aveu de toutes ses souffrances et de tous ses combats. Elle avait révélé à son directeur tous les détails de notre amour, et il lui avait fait un crime énorme de cette affection basse et criminelle. Il lui avait interdit de