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PUBLICISTES DE LA FRANCE.

quel homme y a mis plus de dignité ? Qui a usé avec plus de réserve et de désintéressement de ces priviléges que l’usage accorde à ceux qui disposent de la publicité ? Carrel ne faisait ni ne laissait faire ; il n’avait ni l’avidité qui trafique de la vérité et du mensonge, ni cette facilité de certains hommes politiques, qui, gardant pour eux-mêmes une sorte de probité ambitieuse, permettent le gaspillage et la rapine autour d’eux, croyant faire assez pour l’opinion s’ils n’en prélèvent pas la dîme.

Ceux qui l’aimaient sans folles espérances et sans ambition auraient voulu qu’il se contentât de ce rôle, le plus beau peut-être dans un gouvernement de discussion. Mais nous reconnaissions bien que ce n’était pas possible. Carrel subissait la discussion comme un mode d’action incomplet et bâtard. Ni le libre cours qu’elle offrait à sa passion ne le soulageait, parce que, dans ses plus grands emportemens, il sentait qu’il ne faisait que se donner le change à lui-même ; ni la réputation d’y exceller ne le flattait, parce qu’il en rêvait une plus belle. Ses adversaires, pour le piquer, insinuèrent quelquefois de quelle sorte était la gloire qu’il voulait, et le mot de premier consul fut prononcé avec ironie. En tout cas, la foule choisie qui vint se faire inscrire chez lui, lors de son premier duel, ne cherchait pas à le désabuser alors des illusions qu’il pouvait avoir à cet égard. Mais, malgré tous ces flatteurs qui courtisèrent sa glorieuse blessure, et qui lui ont manqué à sa mort, Carrel ne se rêva jamais ni dictateur, ni premier consul. Il eut peut-être, comme tous les hommes d’un talent et d’un caractère supérieurs, aux époques de crise, et après tant d’exemples de fortunes rapides et extraordinaires, des doutes pleins d’espérances sur sa destinée. Peut-être lui échappa-t-il de faire lui-même ou de laisser faire devant lui, entre quelques parvenus sublimes et lui, de ces rapprochemens qui ont tout l’air d’être des horoscopes. Mais il n’en eut jamais ni la prétention, ni la vanité, et peut-être s’en donna-t-il d’autant moins le personnage, qu’il n’était pas plus indigne qu’un autre que la fortune trouvât encore pour lui, dans des temps d’orages, une de ces couronnes de hasard qu’elle met quelquefois sur des têtes obscures. En le pressant sur ce point et en interpellant sa loyauté, tout au plus aurait-on obtenu l’aveu qu’il n’avait jamais souhaité, dans ses plus grandes espérances, que l’honneur d’être, après et avec d’autres, le chef temporaire et responsable de son pays.

Enfin, en mettant les choses au pire pour Carrel, soit qu’aucun événement ne dût lui fournir l’occasion de déployer régulièrement et