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dans ce projet de réimpression de ses articles. Son choix même étant une preuve de sa raison et de son goût, c’est presque un devoir testamentaire de le respecter.

iv.

La perte de Carrel est irréparable. Quel que soit l’avenir qui nous attende, s’il eût été donné à Carrel de vivre vie d’homme, la France ne pouvait tirer de lui ni de médiocres services, ni un médiocre éclat. S’il est dans notre destinée de voir de nouveaux orages, quelle richesse pour la patrie que son esprit de ressources, et, en cas de guerre, son instinct militaire cultivé par des études spéciales, la justesse de son coup d’œil, son sang-froid dans les momens difficiles, son caractère modéré et ferme, sa probité chaste, et ce courage qu’il n’a pas assez estimé, et où il s’est laissé prendre comme à un piége !

Si, ce qui est le vœu et l’espérance de tous les hommes de sens, nous devons jouir paisiblement d’un gouvernement de discussion sous une royauté d’origine populaire, quel écrivain y eût mieux servi par ses apologies que Carrel par son opposition ?

Je n’étonnerai ni ne blesserai personne en disant que l’ascendant de Carrel journaliste a moralement dirigé la presse dans ces dernières années, et que nul ne l’a honorée par plus de courage et de probité. Amis et ennemis, tous se sont inspirés de ses idées, les uns pour compléter et féconder des opinions parallèles, les autres pour alimenter leur contradiction. Carrel seul savait mener la presse à l’endroit vif, et faire faire chaque jour aux questions un pas en avant ; lui seul pénétrait le premier les embarras réels derrière les arrangemens apparens, et les germes sérieux de discorde derrière les protestations publiques ; lui seul fixait les responsabilités, et de tous les écrivains de l’opposition, lui seul savait faire passer impunément entre tous les écueils dont les lois et l’ardeur des parquets semaient sa marche, des vérités ou des craintes hardies qui ont peut-être plus prévenu de fautes qu’elles n’en ont fait faire.

Carrel faisait plus encore. N’est-ce pas lui qui le premier affrontait le péril et provoquait les explications, au risque qu’à la place de réponses amiables on lui envoyât des mandats d’arrêt ? N’est-ce pas lui qui, le plus souvent, a offert sa personne aux expériences de l’arbitraire, et a mis son corps en travers pour qu’on passât dessus avant d’arriver jusqu’à la minorité dont il était l’organe ? Et, pour ne parler que des rapports intérieurs de la presse avec le public,