Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 12.djvu/52

Cette page a été validée par deux contributeurs.
48
REVUE DES DEUX MONDES.

comme dans ses premiers écrits, des vues qu’il tire froidement de sa raison avertie ou dirigée par l’opinion d’autrui ; cette fois ses vues ne sont qu’à lui ; personne ne les a suscitées, et, autour de Carrel, rien ne lui dit qu’elles auront de l’à-propos. C’est toujours sa raison qui les conçoit et les expose, mais sa raison émue par ses souvenirs personnels. N’oublions pas que, malgré les gages les plus brillans d’un grand esprit politique, Carrel n’avait pas cessé d’être militaire, et, à ce titre, de ne penser à rien avec plus de prédilection qu’à l’armée et aux choses de la guerre. Ainsi s’explique, non la transformation de son talent, mais l’apparition soudaine d’une de ses qualités demeurée jusque-là inactive. C’était le même talent : mais Carrel en avait gardé les traits les plus vifs pour le premier travail où il aurait occasion de s’engager de toute sa personne.

Au reste, ne remarquer dans les deux articles sur l’Espagne que quelques pages colorées, serait en faire trop peu de cas. Je ne sais pas d’exemples, dans la littérature politique, d’une situation plus sûrement et plus largement décrite que ne l’est celle de l’Espagne de 1823 dans le premier de ces articles. Quant à la question des devoirs et des droits de l’armée dans un pays constitutionnel, il serait téméraire de prétendre la mieux traiter au point de vue spéculatif que ne l’a fait Carrel dans le second article ; il serait imprudent, dans la pratique, de la comprendre autrement. C’est que, dans cet écrit, le sens et le coup d’œil décident Carrel et déterminent son jugement, souvent contre ses vœux et ses espérances. Ainsi, en ce qui regarde l’Espagne de 1823, bien qu’il ait combattu dans le parti révolutionnaire, rien ne lui en dérobe les fautes, rien ne lui en exagère la popularité sur le sol espagnol, rien ne lui en grossit les chances. Il voit les faits et il les raconte, non du ton d’un intéressé qui en a subi le joug, mais en homme impartial qui ne s’inquiète que de ne pas se tromper, sauf à mettre, dans sa conscience, le droit où il doit être. Et pour la question des opinions de l’armée, question délicate, où l’écrivain libéral pouvait être si fortement tenté d’opposer au dogme de l’obéissance passive, octroyé, pour toute charte, à l’armée par le gouvernement d’alors, des théories d’intervention active et délibérante dans les affaires du pays, avec quelle justesse de vues et quelle fermeté Carrel la résout ! Il refuse à l’armée le droit de délibérer ; mais il lui reconnaît celui d’avoir une opinion, quand les fautes d’un gouvernement l’y provoquent, et celui de ne répondre que par le devoir et le respect de la discipline, qui est la loi d’honneur de l’armée, quand on lui demande un enthousiasme servile