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PUBLICISTES DE LA FRANCE.

des défauts imités, il conformait son langage au train calme et à l’inspiration un peu étrangère de ses pensées. Comme tous les écrivains appelés aux succès durables, il ne s’était point embarrassé à l’avance de ces habitudes de style factice qui se prolongent jusque dans les belles années du talent. Il était parfaitement libre pour l’heure des pensées mûres et passionnées, et possédait un excellent fonds d’écrivain, si je puis dire ainsi, sur lequel la passion devait un jour jeter quelques couleurs, sans toutefois en changer la nature forte et saine dès les premières pages du sous-lieutenant de 1823.

Cette couleur, qui peint les paroles à l’esprit, marque un bon nombre de pages des deux articles sur l’Espagne. C’est que le sujet est du choix de Carrel. Il prend le prétexte d’ouvrages sur cette matière pour exposer ses idées personnelles sur la guerre de 1823, sur la situation de l’Espagne, sur l’armée prétendue libératrice que la politique des Bourbons de la branche aînée y envoya faire cortége au supplice de Riego ; sur les généraux de la petite armée révolutionnaire, Mina, Milans ; sur ces proscrits de divers pays « qui vinrent, dit Carrel dans son nouveau style, agiter inutilement, aux yeux de nos soldats, des couleurs oubliées, et qui, avant d’enterrer ce drapeau qui trompait leurs espérances, crurent lui devoir cet honneur d’être encore une fois mitraillés sous lui ! » Carrel s’était joint à ces proscrits : il était officier dans cette petite troupe de soldats de toutes les nations que commandait le brillant colonel Pachiarotti, « souffrant et se battant sans espoir d’être loués, ni de rien changer, quoi qu’ils fissent, à l’état désespéré de leur cause ; n’ayant d’autre perspective qu’une fin misérable au milieu d’un pays soulevé contre eux, ou la mort des esplanades, s’ils échappaient à celle du champ de bataille. » Ces évènemens qu’il résumait avec tant de force, il y avait été jeté lui-même cinq ans auparavant par un irrésistible besoin d’agir, mais d’agir toutefois au profit d’une cause préférée. Il avait observé d’un œil pénétrant cette armée de la restauration, dont il relevait le caractère en montrant par combien de vertus elle avait honoré cette campagne impopulaire, et comment, par son abnégation sur ses secrètes préférences, par sa discipline, par son courage sagement proportionné aux résistances, elle avait su se faire respecter et craindre de l’Europe absolutiste, même dans une œuvre de grande police absolutiste. Il l’avait étudiée dans ses manifestations comme dans son silence, avant de s’en séparer lui-même pour aller combattre un peu au hasard ceux qu’elle avait été chargée de rétablir. De toutes les choses qu’il raconte, il avait donc senti les unes, vu les autres, souffert de la plupart. Ce ne sont plus,