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sions, l’inventeur les désigne ainsi : la cabaliste, l’alternante et la composite. La cabaliste est la fougue à la fois réfléchie et spéculative qui tend à diviser les impulsions, afin de leur donner plus d’essor, à fixer les volontés par une influence complexe. Dans notre monde, on appellerait cette passion l’esprit d’intrigue. L’alternante, ou papillonne, est le besoin de variété irrésistible chez l’homme, la soif de situations contraires, de contrastes et de changemens de scène. L’alternante se mêle à tout, elle va d’un groupe à l’autre, d’une série à une série, engendre l’attrait par la mobilité, et éloigne le blasement par de rapides volte-faces. C’est elle qui répand le plus de bonheur sur le mécanisme sociétaire. Dans notre civilisation, cette passion se nommerait inconstance, goût du changement. Enfin la composite, ou fougue aveugle, est la passion qui produit les dévouemens sublimes, l’inspiration dans les arts, l’éloquence de la chaire et de la tribune ; c’est celle qui s’appuie sur le besoin de grandes émotions, sur le désir de mener à bien des tâches glorieuses ou pénibles. Cela équivaut à peu près à ce que nous nommons l’enthousiasme. Ces trois passions sont supérieures aux quatre passions affectives, qui priment à leur tour les cinq passions sensuelles.

Ainsi l’humanité compte douze passions radicales, sept de l’ame, cinq de la chair, ressorts et pivots de l’attraction ; cinq passions sensitives tendant au luxe, cinq passions affectives tendant aux groupes, cinq passions distributives ou rectrices tendant aux séries. Les premières ne touchent que l’individu, les secondes rayonnent dans un cercle d’intimité, les troisièmes intéressent la société entière. C’est le jeu libre et complet de ces douze passions, se tempérant l’une l’autre, qui inspire à l’homme le sentiment religieux ou la passion de l’unité, laquelle résulte de la combinaison de toutes les autres, comme le blanc de la combinaison de toutes les couleurs. Et comme il y a des nuances de couleurs à l’infini, il y a aussi une foule de passions mixtes. Mais le nombre des passions proprement dites est rigoureusement de douze, et Fourier en trouve la preuve analogique, soit dans le système sidéral, soit dans la décomposition du prisme solaire, soit enfin dans la gamme musicale. Nous ne le suivrons pas sur ce terrain d’analogies : il a déclaré lui-même avec trop de bonne grace qu’il s’y sentait mal assis.

MÉCANISME SOCIÉTAIRE. — VIE D’UN PHALANSTÈRE.

La loi d’attraction une fois trouvée, il n’y avait plus qu’un pas à faire pour arriver au procédé sociétaire. Toutefois, avant d’opérer sur ce thème de réalisation, Fourier a voulu se justifier à lui-même,