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dant de longues années, méditant sur sa découverte au milieu des occupations ingrates et mercenaires d’un comptoir, espérant toujours, attendant toujours. Cependant, en 1822, il reparut devant le public avec son Traité de l’association domestique agricole, qu’il n’osa pas, à ce qu’il dit, intituler : Théorie de l’unité universelle. Cet ouvrage, annoncé en six volumes, n’en a eu que deux ; mais ils suffisent aux plus nécessaires comme aux plus vastes développemens de la théorie. Là Fourier marque nettement et naïvement sa place à côté de Newton. Newton a découvert l’attraction matérielle, lui, Fourier, a découvert l’attraction passionnée. À l’un la science de la vie planétaire, à l’autre la science de la vie humaine. L’analogie universelle, l’unité harmonieuse qui préside aux fonctions de l’univers, étaient, selon Fourier, des faits incompatibles avec la destinée actuelle de l’homme, si incohérente et si misérable. Elles indiquaient suffisamment qu’il fallait rentrer dans les voies des créations normales et bien ordonnées. Ainsi toutes les passions devaient trouver leur place dans le système humain, comme les corps célestes trouvent la leur dans le système sidéral. Pour cela, il fallait les laisser obéir, les unes comme les autres, à leur loi d’impulsion inhérente, et non leur opposer un système de compression qui tend à les jeter violemment hors de leurs sphères. Que si les conditions du milieu social s’opposaient au libre développement des passions, ce n’était pas les passions elles-mêmes qu’il fallait en accuser, car les passions, bonnes ou mauvaises, sont d’inspiration divine, et par cela même légitimes et inaltérables, mais bien le milieu social, création de l’homme, périssable comme lui, et pouvant se modifier à son gré.

Tout le livre de Charles Fourier et ceux qui le suivirent, le Nouveau monde industriel (1829), le pamphlet contre Saint-Simon et Owen, enfin les articles du Phalanstère, ne sont plus que les corollaires d’une théorie dès-lors complète et assise. Ayant trouvé un monde dont le pivot était l’agriculture, et le mouvement l’association, Fourier tenait à en régler jusqu’aux plus imperceptibles détails, ce qui l’entraîne en des développemens diffus, où il n’est pas toujours possible de le suivre. Ces développemens curieux et inouis, qui demandaient un grand effort de méditation et une magnifique puissance d’isolement, furent les seuls côtés par lesquels on consentit à envisager ses théories. Les parties sérieuses furent dédaignées, mais on s’arrêta sur des bizarreries de détail qui prêtaient au sarcasme. On s’occupa de Fourier pour en rire ; mais ce fut là tout. Le rire est mortel en France. Il ôte la faculté et le désir d’aller au cœur