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royauté consentie ? Par dépit, n’a-t-on pas manqué de dire. Si on eût fait à Carrel une situation convenable dans le nouvel état de choses, on l’eût acquis irrévocablement. M. Littré a cité un mot de lui : « Peut-être m’eût-on désarmé en me donnant le commandement d’un régiment. » Ce mot est vrai, je l’ai entendu ; mais il n’était ni sérieux, ni même plaisant à la manière de certains mots qui cachent une arrière-pensée sérieuse. J’en sais un qui le réfute et où Carrel paraît tout entier : « Croit-on, disait-il, que moi, simple officier, et qui sais combien il importe à la discipline de l’armée que les grades n’y soient donnés qu’aux services, j’eusse consenti jamais à usurper les épaulettes de colonel ? » Ce n’est donc point avec le don d’un régiment qu’on eût gagné Carrel. J’ignore quelle offre eût été mieux reçue. Si Carrel a eu à cet égard quelque désappointement, je ne sache pas qu’il s’en soit ouvert à personne. Peut-être un emploi élevé, qui eût maintenu l’égalité entre ses premiers amis politiques et lui, l’eût-il attaché au gouvernement nouveau tout le temps qu’à son sens la royauté et le pays n’auraient fait qu’un. Sitôt qu’il aurait cru que l’intérêt dynastique se distinguait assez de l’intérêt du pays pour que les services d’un fonctionnaire parussent des services à une personne royale, Carrel aurait quitté les fonctions publiques. Il ne pouvait servir avec suite qu’une cause générale ou un être collectif, le pays : un emploi même élevé eût laissé trop de personnes au-dessus de lui.

Voici, s’il fallait expliquer par une ambition trompée sa levée de boucliers républicaine, ce qu’on en pourrait dire de plus fondé. Mais, je le répète, quoique rien n’eût été plus permis que l’ambition de Carrel, ni rien de plus juste que son chagrin de la voir trompée, ce n’est point par désappointement qu’il arbora le drapeau républicain ; car pourquoi le moindre retard ? pourquoi ne pas se déclarer dès le premier jour, sous l’impression de cet inconcevable abandon, ou plutôt de ce désaveu indirect qui suivit son envoi dans les départemens de l’Ouest ? pourquoi pas le lendemain de cette ridicule offre d’une préfecture de troisième ordre, à laquelle on l’avait nommé sans le consulter ? L’occasion était assez belle, et Carrel n’était pas de ces hommes qui se fâchent long-temps après l’affront, et qui mettent entre leur ressentiment et l’éclat qu’ils ont résolu d’en faire un intervalle calculé. Les griefs étaient justes ; et qui peut dire que, dans une certaine mesure, les mécontentemens d’un homme supérieur par le cœur et par l’esprit ne soient pas des mécontentemens publics ? Cependant Carrel ne s’émut pas. Devenu maître de la direction du National, il accepta, comme tout le monde, la royauté consentie,