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persuasif et sympathique. Une aptitude surprenante aux affaires, un coup d’œil infaillible, qui distingue au premier abord le chemin à tenir à travers des difficultés et des obstacles de tout genre, une présence d’esprit qui tranche le nœud au lieu de perdre le temps à le dénouer, une volonté ferme et puissante qui force les esprits inférieurs à se plier à la sienne, toutes ces qualités précieuses que Wellington possède au plus haut degré, aucun homme d’état de ce temps ne les réunit dans la même étendue. Mais on ne gouverne pas un pays libre en se fixant immobile sur l’étroit domaine du présent ; et il ne faut pas dédaigneusement repousser les inquiètes aspirations de la société vers un autre avenir. Le duc de Wellington a toujours agi comme s’il n’y avait de force morale dans ce monde que le sentiment du devoir et le respect de la discipline, de force matérielle que la baïonnette et le bâton du police-man. Aussi ressemble-t-il, dans l’exercice du pouvoir, à un homme qui remonte un fleuve rapide et perd toujours du terrain, malgré la vigueur et l’habileté de ses efforts. Avec cette politique, on est enfin emporté par le courant des opinions humaines, et plus on se raidit contre elles, plus grande est leur victoire. Le duc de Wellington, qui avait opposé tant de résistance aux prétentions des catholiques, se vit enfin forcé de céder, par l’impossibilité où il s’était mis de gouverner plus long-temps sans cette concession. Celui qui avait refusé toute assistance aux Grecs armés pour s’affranchir, et qui avait appelé la bataille de Navarin un évènement funeste[1], fut contraint de coopérer et d’accéder, au nom de l’Angleterre, comme partie contractante, à l’établissement du nouvel état grec, en dépit de la Porte Ottomane, notre ancienne alliée. Celui qui avait traité de farces[2] les assemblées populaires, et qui affectait de ne reconnaître aucun pouvoir dans l’état, hors de l’enceinte du parlement, se vit, en 1830, expulsé des affaires par les clameurs de la populace. Celui qui avait combattu à outrance toute mesure de réforme parlementaire, accepta, en 1832, la tâche humiliante et ingrate de composer un ministère qui aurait donné la réforme afin de soustraire le roi à la domination des whigs. Toute la vie politique du duc de Wellington me représente le travail de Sysiphe. Chaque fois que la pierre, un moment soulevée, retombe le long du rocher, elle roule en arrière toujours un peu plus loin, et le force sans cesse lui-même à reculer de plus en plus pour la ressaisir.

  1. Untoward event. Ce sont les expressions dont on se servit pour caractériser la bataille de Navarin, dans le discours d’ouverture du parlement anglais, le 29 janvier 1828.
  2. Historique.