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HOMMES D’ÉTAT DE LA GRANDE-BRETAGNE.

de parti qui veut ameuter contre lui la populace, est sûr de réussir en touchant cette corde ; et les plus violens conservateurs, au mépris de tout principe et de toute pudeur, se sont alliés sur cette question avec les plus fougueux radicaux pour embarrasser le gouvernement. Quelle a été, au contraire, la conduite du duc de Wellington ? Il s’est prononcé sans hésiter en faveur de la nouvelle législation, et son appui ne manque jamais sur ce point à ses adversaires politiques. On ne saurait dire combien il a nui, par cette noble conduite, aux intérêts de son parti, et combien ajouté à l’admiration que son caractère inspire. Tout opposé qu’il se soit toujours montré aux vœux et aux sentimens populaires en matière politique, il a été de fait, dans le cours de ces dernières années, un des personnages les plus populaires du royaume, auprès des grands et des petits. Quand Wellington, pliant sous l’empire de la nécessité, cessa, en 1832, de combattre le bill de réforme, plus de cent trente pairs sortirent de la chambre à sa suite ; et quand, le jour anniversaire de la bataille de Waterloo, quelques misérables osèrent l’insulter, l’indignation du peuple, du vrai peuple anglais tout entier, fit justice de ce scandaleux outrage.

Mme de Staël, qui ne connaissait Wellington que pour l’avoir vu dans les salons de Paris, pendant l’occupation de cette ville par les alliés, a dit de lui que c’était un homme borné ; M. de Talleyrand, au contraire, le trouve le plus capable des capables. Comment faire pour concilier ces deux jugemens portés sur le même homme par de tels esprits ? Et pourtant il y a du vrai dans l’un et dans l’autre. La reine des salons de Paris, avec sa politique de roman et son imagination de grand poète, ne pouvait apprécier l’esprit tout positif, la sèche et droite raison, le génie pénétrant, mais sans éclat, du soldat diplomate. M. de Talleyrand, d’un autre côté, qui partage le mépris de Wellington pour les progrès du siècle et les tendances enthousiastes de la société moderne, n’a peut-être pas vu combien, en affectant le dédain et l’aversion pour ces idées généreuses, en cherchant à brusquer l’assaut du libéralisme comme il aurait enlevé d’un coup de main les misérables murailles d’une bicoque, l’homme d’état anglais a manqué à ses hautes destinées non moins qu’à ses devoirs envers sa patrie et envers lui-même. S’il était possible de gouverner une nation comme un régiment, jamais grand peuple n’aurait eu de meilleur premier ministre. L’incontestable droiture de ses intentions et sa loyale franchise auraient fait oublier à ses concitoyens la raideur de ses manières et la sécheresse d’un langage qui n’est jamais