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Mais Wellington jouit quelque temps de sa popularité. Les tories allaient partout répétant d’un air de triomphe ses mots à lord Dudley : « Il n’y a pas de malentendu, it is no mistake, » et c’est comme un proverbe qui a passé dans le langage familier. Le premier ministre ne manqua point de cultiver la faveur publique par une attention soutenue aux affaires et par une certaine affectation d’habitudes laborieuses et simples qui flattaient la nation, accoutumée à la pompeuse fainéantise de la plupart des fonctionnaires civils. On citait de lui, à cette époque, un grand nombre de traits à la Frédéric II, qui témoignent de l’attention qu’il apportait aux plus minutieux détails de son administration.

M. Babbage, mathématicien distingué, commençait à s’occuper de sa grande machine à calculer, invention qui a fait beaucoup de bruit dans le monde savant, et désirait obtenir quelque secours du gouvernement pour subvenir à des dépenses de construction qui excédaient les moyens d’un pauvre philosophe. Il avait déjà adressé plusieurs mémoires à différens ministres sur son ingénieuse découverte, et n’en avait reçu que ces réponses évasives, insignifiantes et dilatoires, pour lesquelles les bureaux ont une langue à part dans tous les pays du monde. Un jour, M. Babbage voit un homme descendre de cheval à sa porte ; c’était le duc de Wellington, qui avait entendu parler de sa machine et voulait se la faire expliquer avant de mettre les secours de la trésorerie à la disposition de l’inventeur. Celui-ci entra donc avec le premier ministre dans les détails fort compliqués de son projet. Wellington est un peu rouillé sur les mathématiques, mais son intelligence est nette, et il n’a pas le ridicule de vouloir comprendre sans avoir étudié. Il écouta, fit quelques observations en peu de mots, et prit congé de M. Babbage. Peu de jours après l’allocation était votée, et la somme fournie au savant pour réaliser son idée.

L’administration du duc de Wellington suivit ainsi son paisible cours, jusqu’aux approches de l’orage que souleva l’émancipation catholique. On me permettra de ne point revenir ici sur ce que j’en ai dit ailleurs. Le rôle de Wellington dans cette grande crise est fort honorable et simple. Aussi fut-il épargné dans ce déluge de sarcasmes, d’épigrammes, d’amères et violentes accusations qu’eut à essuyer son collègue, M. Peel. Quoique toujours opposé à l’émancipation catholique, il ne s’était pas mis à la tête des préjugés et des passions qui la repoussaient. Son éducation militaire et les habitudes de sa vie le laissaient assez étranger aux dévots scrupules et au fanatisme anglican qui agissaient avec tant de force sur la plupart de ses collègues,