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HOMMES D’ÉTAT DE LA GRANDE-BRETAGNE.

pas de perte plus fâcheuse que celle de la considération, qui est le fondement de la confiance publique. » M. Huskisson céda enfin, mais de fort mauvaise grace, et de l’air d’un homme qui se voit menacé de passer par la fenêtre, s’il ne se hâte de sortir par la porte. La queue de Canning sortit du ministère avec lui. C’était lord Dudley, lord Palmerston et M. Grant, aujourd’hui lord Glenelg. Wellington les remplaça par ses amis personnels, deux desquels avaient fait sous lui la guerre de la Péninsule, sir G. Murray et sir H. Hardinge.

Ce fut un de ses plus grands triomphes. Il avait mis les rieurs de son côté dans l’absurde comédie qui venait de se jouer, car il n’y a pas de malheur auquel le public soit plus insensible que celui d’un ministre forcé de lâcher son portefeuille. Huskisson était d’ailleurs impopulaire. Économiste et théoricien, ces deux qualités ne pouvaient en faire le favori de la multitude. Toutes les branches de commerce qui souffraient attribuaient leurs embarras à ses principes de liberté commerciale. Le jour où l’on apprit sa retraite, les vaisseaux marchands qui se trouvaient dans la Tamise hissèrent leur pavillon en signe de joie, et la décision un peu brutale du duc de Wellington fut admirée, comme toujours, de tous ceux qui n’en ressentaient pas les atteintes. Burke a dit avec raison que l’arbitraire plaît tellement à la multitude, que, dans les discordes civiles, il s’agit le plus souvent de savoir, non s’il y aura de l’arbitraire, mais qui l’exercera ; et quoique l’opposition ait beaucoup déclamé contre la tyrannie « du roi Arthur » (c’est ainsi que lord Wellington était quelquefois désigné), de tous ses exploits, celui qu’on a peut-être admiré le plus, c’est l’expulsion du pauvre M. Huskisson.

Cependant, comme l’opinion des esprits sages et éclairés finit toujours par prévaloir et former à la longue ce qu’on appelle l’opinion publique, ce triomphe de Wellington sur son collègue a eu pour lui, dans la suite, les plus fâcheuses conséquences. En se séparant de M. Huskisson, le premier ministre sembla rompre, par un violent effort, avec le libéralisme intelligent et modéré, qui regardait à bon droit cet homme d’état comme un des plus utiles serviteurs de son pays. Il se fit en même temps des ennemis mortels dans le petit nombre des collègues survivans de Canning, qui ensuite poussèrent l’animosité contre lui jusqu’à se coaliser avec les whigs pour le renverser. Et aujourd’hui, par une singulière combinaison de circonstances, cette petite coterie, branche détachée du torysme, donne à une administration whig son chef et deux de ses principaux membres, lord Melbourne, lord Palmerston et lord Glenelg.