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LES CÉSARS.

le favori de Tibère, le successeur de Séjan et le secret allié de Caligula, Macron ne dit qu’une chose : « Jetez-moi un matelas sur ce vieux bonhomme et retirez-vous. » Voilà le récit le plus probable de la mort de Tibère.

Quand la nouvelle de cette mort arriva à Rome, on hésita à le croire, et surtout à s’en réjouir ; on craignait que ce ne fût un faux bruit répandu à dessein par les espions de Tibère. La joie éclata quand la nouvelle fut certaine. Je remarque une chose : des empereurs plus cruels peut-être que Tibère ne moururent pas sans qu’au milieu de la haine publique il ne se glissât quelque gage isolé de regret ; sur la tombe obscure et honteuse de Néron, on apporta long-temps des fleurs ; le corps de Caligula, gardé la nuit par sa femme au risque de la vie, brûlé à la hâte, enterré en secret, fut plus tard rendu par ses sœurs à une plus honnête sépulture. Tibère, au contraire, fut enseveli avec tous les honneurs impériaux, malgré la haine du peuple, qui voulait qu’on jetât Tibère dans le Tibre ; pas un témoignage de regret et d’affection ne s’éleva sur la tombe de cet homme. Il y avait encore, dans l’ame dépravée de ses deux successeurs, quelque coin plus humain et plus tendre par où d’autres ames s’étaient attachées à eux ; il n’y avait rien de cela chez Tibère, ame toujours défiante qui repoussait sans cesse et n’attirait jamais. Il y eut après lui un fait remarquable et qui peint bien les mœurs publiques de cette époque. Des condamnés à mort étaient à ce moment dans les prisons ; les condamnations ne s’exécutaient qu’au bout de dix jours. Lorsque vint le jour fatal, Caligula n’était point à Rome ; les gardiens, n’étant pas d’humeur à rien prendre sur eux, les étranglèrent dans la prison, et le peuple vit encore ces cadavres aux gémonies. Tel était le droit de ce temps : dans le doute, le plus sûr était de tuer.

Ainsi, malgré tout ce qu’il y avait de haine pour Tibère, son gouvernement vivait après lui ; il semble qu’il fût devenu nécessaire à Rome et qu’elle le portât en elle malgré elle-même, que régner ce fût encore avoir sous sa main le bourreau, les prétoriens sous ses ordres ; que tout, nécessairement et à jamais, se réduisît à cette question matérielle. Cela n’était que trop vrai, la vie politique de Rome resta constituée comme l’avait constituée Tibère ; personne ne songea à des institutions nouvelles, à des garanties contre le retour de nouvelles calamités. En principe, rien ne changeait ; c’était Caius au lieu de Tiberius, toujours un Claude et un César.


F. de Champagny.