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LES CÉSARS.

la maxime qu’on ne cite pas : « Le but justifie les moyens. » Les moyens ont été affreux ; c’est à en gémir : ils en pleuraient de chaudes larmes, ceux qui les employèrent ; mais que voulez-vous ? Il fallait cela pour sauver le pays, il y avait nécessité ; autrement comment eussent-ils agi ainsi, ces hommes si purs et si vertueux ! D’ailleurs, s’ils déblayaient le terrain de la société, c’était pour y construire. Ils avaient un magnifique ordre social tout prêt à paraître au jour, toute une théorie de bonheur public qui n’avait plus besoin que de quelques têtes pour se développer librement. Que ne leur a-t-on laissé le temps ? Le moment même était venu ; la patrie ne réclamait plus ou presque plus de proscriptions. Cette ère de bonheur, de liberté, de richesse universelle, était au moment de commencer, et tout le monde se fût embrassé au 10 thermidor,

Si je voulais, j’appliquerais cela à Tibère, et je serais bien étonné que quelque amateur de paradoxe ne l’eût pas encore fait. Je montrerais qu’il y avait eu jusqu’à lui une aristocratie oppressive, riche des biens qu’elle arrachait au peuple, pesante surtout aux provinces, où elle pillait tout à son aise ; je citerais Verrès et tant d’autres. Cette aristocratie, vaincue par César, n’était pas encore détruite. Elle était encore riche, puissante par les souvenirs, entourée de clientelle, mêlée à toutes les affaires de l’état, trouvant encore mille occasions de saigner le peuple. Quant à Tibère, j’en ferais un bonhomme simple, ne demandant ni honneurs au dehors, ni flatterie, ni pompeux hommages, cela est vrai ; aimant les plaisirs intérieurs, « idolâtrant les arts, » les banquets de famille, comme on l’a dit de ces beaux messieurs de la montagne, et qui ne serait jamais sorti du calme de sa vie domestique, de la tranquille vie de bourgeois de Rome, si le danger public ne l’eût appelé, s’il n’eût fallu affranchir le peuple et le monde, achever l’œuvre de César, déraciner jusque dans ses fondemens cette tyrannique aristocratie, établir sous un seul prince un large niveau d’égalité, une immense et touchante fraternité, qui se serait étendue depuis l’Arabe jusqu’au Breton, depuis le Maure jusqu’au Sarmate. Qui pourrait nier ses vertus personnelles ? Lequel des montagnards, dont on a fait des saints, répara-t-il de ses deniers, comme le fit Tibère, tout un quartier incendié de la ville ? Si, comme on a dit, le comité de salut public était tout composé d’ames tendres, d’amateurs de la littérature douce ; si Robespierre se nourrissait de la Nouvelle Héloïse et avait débuté par un éloge de Gresset, Tibère, lui aussi, débutait par des vers élégiaques sur la mort de son cousin Lucius César, imitait les poètes amoureux de la Grèce, Euphorion,