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aussi faibles réellement les gouvernemens les plus sanguinaires. Si on y regardait bien, on verrait que tous les princes qui ont employé ce facile moyen de pouvoir, et qu’on a fini presque par admirer pour la force et l’énergie de leur politique, y ont tous été poussés par la peur, et par conséquent sont demeurés, en bien des choses, d’une faiblesse et d’une impuissance incroyables.

Le système de gouvernement de Tibère fut un legs qu’il imposa presque à ses successeurs. Au milieu de l’égoïsme et de l’immoralité générale, on ne régna jamais guère que par la défiance ; et la défiance exercée contre tous conduisait bien vite à ce système. Les Antonins osèrent régner autrement ; ils se hasardèrent à n’être pas sans cesse dans un état de tremblement et de menace. Il y eut sous ces princes un calme presque miraculeux ; mais, eux passés, tout reprit comme de coutume : l’empire revint à ses allures ; la délation, l’abandon des proscrits, l’influence désordonnée de la force militaire, tout cela était resté dans les entrailles de la vie romaine.

On avait reconnu bien vite comment avec un pareil régime il était aisé de tuer un empereur et de se mettre à sa place. Le maître était toujours celui qui avait l’oreille du carnifex. Il n’y avait point d’autre succession, point d’autre légitimité. De là cette suite précipitée d’empereurs inconnus, nommés un jour, égorgés le lendemain ; cette multitude de césars, de tous rangs, de toutes nations, auxquels on ne peut guère que donner un peu de pitié pour leur mort.

Ainsi, pendant trois siècles, voilà quel fut le principe social par lequel on gouverna le monde, la peur et la défiance sans bornes. Point d’ombre de châtiment ni de répression même violente, de crainte légale, d’accusation, de jugement, mais une décimation de l’empire, une intimidation sans limite, un système de terreur, non contre des coupables ou contre des ennemis, mais contre tous ; une rage d’égorger, pour ne pas laisser de temps à la vengeance ou à la révolte.

Notre temps, ou le temps de nos pères, a vu quelque chose de pareil ; il a vu cinq ou six hommes d’un génie bien inférieur à celui de Tibère, placés par le flux ou reflux des révolutions à la tête du pouvoir dans un moment de crise, effrayés eux-mêmes de la situation qu’ils s’étaient faite, choisir, à défaut d’autre que la médiocrité de leur esprit ne leur suggérait pas, le plus facile moyen de gouvernement, la terreur ! Haïs de tous, et, malgré tant de haine, assez vils pour être méprisés, sans une puissante force matérielle et tremblant pour leur vie, ils ont vécu de la terreur, ils ont eu des lois de