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toire de la conquête de l’Angleterre avait paru. Carrel ne venait plus chez M. Thierry à titre de secrétaire, mais seulement comme ami, offrant gratuitement des services devenus plus rares, mais que son talent croissant rendait plus précieux. Il passait une partie du temps à faire des recherches et à copier des extraits qui devaient servir aux travaux ultérieurs de l’historien. Dans le même temps, il préparait un nouveau résumé, à l’instar du premier, de l’histoire de la Grèce moderne. C’était plus l’œuvre de Carrel que le Résumé de l’Histoire d’Écosse. M. Thierry n’y avait contribué que pour le projet, où il l’avait poussé, et pour quelques conseils particuliers, qui mirent le jeune écrivain sur la voie de notions sûres et intéressantes. Au reste, l’ouvrage put se passer de la protection d’un morceau préliminaire du maître, et le plan comme la rédaction en appartiennent entièrement à Carrel. Ce Résumé, publié à la fin de l’année 1827, a été réimprimé en 1829.

Les deux premiers écrits de Carrel furent lus fort légèrement, comme le sont presque toujours, même par les juges les plus compétens, tous les livres signés d’un nom inconnu. Ils donnaient tout au plus à l’auteur, et encore dans un cercle fort étroit, la réputation d’un homme de lettres assez habile, mais dont il fallait borner la collaboration aux sujets qui pouvaient se contenter d’une plume très secondaire. Or, les produits d’une plume ainsi classée sont médiocres, surtout quand elle n’est point stimulée par cette âpreté pour le gain qui rend infatigables les talens vulgaires. Le prix de ses deux petits volumes lui avait permis de passer à sa guise les premiers jours de son indépendance. Il dut bientôt y ajouter celui d’articles publiés çà et là dans les journaux et les revues, non sans de vives souffrances d’amour-propre, à cause des difficultés et des retards qu’il y trouvait, et de cette censure intérieure, souvent inintelligente à force d’indifférence, qui lacère le cœur de l’écrivain, croyant ne couper que son papier. Mais ces faibles ressources défendaient à peine Carrel de la pauvreté, ou du moins de cette gêne qui, pour tous ceux que les travaux de l’esprit livrent à tous les besoins honorables, est une sorte de misère.

Il fallut plus d’une fois que la bourse de ses amis pourvût aux plus pressantes nécessités. Carrel était retombé dans toutes les incertitudes de sa première arrivée à Paris. Cette pudeur des grands talens qui ne leur permet pas d’accepter un emploi en sous-ordre, beaucoup de paresse rêveuse, ou beaucoup de temps donné à des travaux sans produit, que sais-je ? peut-être l’amour-propre de sa renommée