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LES CÉSARS.

pas facilement à toute puissance et à toute royauté. Déjà sous la république, Catilina, dévoré de dettes, avait voulu brûler Rome pour rétablir le rang de sa famille, et sous Tibère un héritier de Sylla, Libon, également dans sa ruine, consultait des devins, et perçait le cœur à des figures de cire dans l’espérance de devenir empereur.

Avec de tels élémens, la fausseté de l’esprit, l’absence de tout frein moral, le besoin, l’ambition, vous saurez comprendre quelle était cette jeunesse à qui Tibère sut donner de l’emploi selon son cœur.

Le caractère de cet homme n’est pas facile à comprendre. Il me semble que Tacite le fait trop habile. Le secret de sa vie, comme de celle de tous les tyrans, c’est, je crois, la peur. Malgré la profonde habileté qu’on lui suppose, nous le voyons toujours hésitant, craintif, se méfiant de tout et de tout le monde ; ne se décidant à rien, ni à interroger un prisonnier, ni à donner audience à un ambassadeur ; revenant sur ce qu’il a fait, faisant défense de sortir de Rome à l’homme auquel il vient de donner une charge dans les provinces. Le temps de sa jeunesse, il le passe à se faire petit pour ne pas inspirer de crainte ; il s’imagine offusquer les neveux d’Auguste, il se décide à quitter Rome ; on s’oppose à son départ, il reste trois jours sans manger ; de pitié on le laisse partir, il n’embrasse ni femme, ni enfans, ne dit point adieu à ses amis ; mais en route (voyez ce mélange d’ambition et de peur !) il apprend qu’Auguste est malade, et il s’arrête ; Auguste rétabli, il continue sa route ; il va à Rhodes, s’y fait tellement méprisable, qu’après avoir voulu l’empêcher de partir, l’empereur finit par le condamner à y rester ; il y vit avec les Grecs, ne porte plus la toge, ne monte plus à cheval, abandonne l’exercice des armes, ne voit aucun des voyageurs qui demandent à le visiter, se tient au centre de l’île pour les éviter plus sûrement, supplie enfin Auguste de mettre un gardien auprès de lui pour surveiller ses actions et assurer qu’il ne conspire pas.

Mais, avec cette humilité, il avait en lui une dureté de mœurs qui ne se dissimulait pas. Il était de la famille Claudia, race sévère, en qui la raideur aristocratique était héréditaire. S’il n’avait pas l’orgueil de ses aïeux, il avait au moins leurs manières sombres et renfrognées ; il savait tout feindre, excepté l’affabilité et la grâce. Quelque besoin qu’il eût du peuple ou des soldats, il ne sut jamais donner des jeux au peuple, ni faire des largesses aux soldats ; plaire et sourire, cela passait sa nature. Pliant à l’excès quand il n’était pas