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LES CÉSARS.

veut pas. Plaidez pour le père, plaidez pour la fille. Autre exemple : un homme recueille des enfans exposés, leur coupe un bras ou une jambe, les fait mendier en cet état, et s’enrichit de ce qu’on leur donne. Accusez cet homme, défendez cet homme. — La loi (laquelle loi du reste n’est ni du droit romain, ni du droit grec, ni d’aucun autre, c’est une législation fabriquée par les rhéteurs, aussi fabuleuse que les évènemens), la loi veut que si une jeune fille a été enlevée, elle ait le choix ou de faire mourir son ravisseur, ou de l’épouser sans dot. Un même homme a enlevé deux femmes ; l’une veut qu’il meure, l’autre veut l’épouser. Plaidez là-dessus.

Maintenant figurez-vous l’éloquence s’exerçant sur de pareils sujets ; les disciples venant les uns après les autres saupoudrer de nouvelles phrases l’absurdité d’une telle donnée, chacun à son tour plaidant le pour et le contre, entassant les antithèses, nageant en plein océan dans les tropes et les figures, appelant à son secours l’ithos et le pathos, toutes les niaiseries sonores, toutes les absurdités sentencieuses, pour dire bon gré mal gré quelque chose sur un sujet où il n’y avait qu’à se taire ; et cela aux milieu des hourras, des sifflets, des applaudissemens, des clameurs ; le tumulte du forum remplacé par un tapage d’écoliers. Il y eut un de ces rhéteurs qui, à force de se battre les flancs et de se monter la tête, en devint fou. Nous avons tout un livre composé d’échantillons de ces merveilleuses harangues, de ces beaux traits qui donnaient le signal des bravos. C’est le répertoire le plus vaste de paroles vides, d’éloquence à froid, d’antithèses creuses ; livre curieux à force de manquer de sens.

Voilà ce qu’étudiait toute la jeunesse avant de s’élancer dans la vie. Nous venons de dire comment toutes les carrières anciennes étaient tombées en discrédit. Avec cette éducation d’ailleurs, il semblait qu’il ne dût y en avoir qu’une, et que le monde dût être composé d’avocats. Et en effet, dans l’ancienne Rome, il n’y avait personne qui, pour sa part, n’eût commencé par l’être plus ou moins. Mais encore, après avoir vécu dans ce monde de sortiléges, d’enchantemens, d’empoisonnemens, d’incestes, parmi toutes ces lois imaginaires, ces catastrophes miraculeuses, ces procès impossibles, la tête pleine de toutes ces belles choses, comme on devait se trouver dérouté au tribunal du préteur, en face des hypothèques, du cours d’eau ou de la quarte falcidie !

Aussi les grands maîtres de l’art étaient-ils souvent malheureux au barreau. Il s’agissait un jour d’un homme qui demandait que le serment lui fut déféré. L’avocat adverse, rhéteur illustre, trouva un