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LES CÉSARS.

cette vie de clubs, de hustings, de parlemens, où il n’est pas d’homme, si petit qu’il soit, qui n’ait un jour en sa vie à faire l’orateur devant son village ; où tout se fait à coups de harangues, où des meetings, des comités, le speech a passé dans la conversation. Il en était de même chez les Romains, qui ressemblaient tant aux Anglais, et bien mieux encore, parce qu’au lieu de l’air détrempé d’Angleterre, ils avaient l’air pur et le doux climat de l’Italie ; parce que tout se passait en face du ciel, affaires publiques, affaires privées, justice, commerce, société ; parce qu’en un mot on vivait à l’air. La pluie, il est vrai, faisait cesser les affaires, et au premier bruit de tonnerre on ajournait la question jusqu’au prochain jour de beau temps. Mais, du reste, les assemblées du peuple en Grèce et à Rome, que nous appelons des délibérations, ces assemblées de trois ou quatre mille hommes et davantage, si tumultueuses, si désordonnées, qui discutaient si peu et votaient si mal, ce n’était après tout que des moyens de publicité. La place publique, c’était à la fois le parlement, la bourse, le salon, le palais de justice et le marché. C’était le Pnyx à Athènes, lorsque cinq mille hommes se réunissaient pour écouter avec enthousiasme et voter avec fureur ; c’était l’Agora, la promenade des flâneurs et des causeurs de l’Attique, la manufacture des nouvelles, le centre du commérage, la tribune des philosophes, le meeting permanent, où chacun pouvait parler au peuple des affaires du peuple et de ses propres affaires, de sa maison, de son industrie, de son commerce, et où le socle de Démosthènes servait de petites affiches ; le lieu où aboyait Diogène, et où Timon le misantrope venait dire : « Hommes athéniens, j’ai chez moi un figuier où se sont pendus quatre ou cinq citoyens ; si quelqu’un veut s’en servir de la même manière, je l’engage à se hâter, car je vais couper l’arbre. « Tous ces noms de lycée, de portique, d’académie, nous rappellent que la philosophie, comme tout le reste, se tenait en plein air ; en un mot, on vivait à la tribune.

À Rome, il en était de même. Sous les empereurs, les bains et les basiliques vinrent bien disputer au Forum le monopole de la publicité ; mais sous la république, le Forum était le rendez-vous à peu près universel de tous les intérêts. Les jours ordinaires on y causait ; les jours de marché, où la nécessité y appelait tout le peuple, on y faisait devant ce peuple les affaires sérieuses, les affaires des citoyens comme celles de l’état ; on y adoptait un fils, on y faisait son testament ; enfin le Forum tenait lieu et de la société, ce grand élément de la vie du dernier siècle, et des journaux, ce grand élément de notre vie.

Cette accoutumance de vie publique, jointe à la gravité romaine,