Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 12.djvu/38

Cette page a été validée par deux contributeurs.
34
REVUE DES DEUX MONDES.

tée, l’idée de Carrel est excellente en soi. Cela équivaut à dire que l’action étant la manifestation la plus franche et la plus naturelle de l’homme, pour bien écrire, il faut être mu par une force aussi impérieuse que celle qui nous fait agir. Or, on n’est dans cette condition-là qu’autant qu’on a une forte et noble passion à satisfaire, quelque grande vérité à défendre, un idéal à atteindre. Hors de là, l’écrivain n’est que le plus noble de l’espèce des charlatans.

Les études littéraires de Carrel avaient été fort négligées. Il nous racontait que tout en étant dans les meilleurs élèves de son collége par les dispositions, il était dans les médiocres par les résultats. Ses penchans militaires se montraient dès le collége par le choix même de ses lectures. Il lisait les historiens, surtout à l’endroit des opérations militaires, et il aimait, avant de les comprendre, ces détails si étrangers à la vie de collége. Jamais vocation ne fut plus précoce et plus décidée. Pour le reste des études, il y assistait avec impatience, plutôt qu’il n’y prenait part. Toutefois, nous disait-il, Virgile l’avait frappé. Il m’en récitait quelquefois des vers appris dans sa tendre jeunesse, et qu’il n’avait ni relus ni oubliés. Regardez comme la destinée d’un homme supérieur se prépare de loin. Cet enfant qui, après avoir dévoré une mauvaise traduction de Xénophon ou de César, est sensible à l’art divin de Virgile, un jour le goût et la volonté en feront un homme d’action ; l’instinct en fera un admirable écrivain.

Au sortir du collége, et pendant la préparation pour entrer à l’école militaire de Saint-Cyr, Carrel se livra exclusivement aux études historiques et de stratégie. À l’école, il y employa tout le temps que lui laissaient les occupations spéciales. Après la guerre d’Espagne, et pendant sa prison, sous la menace d’une peine capitale, il écrivit différens résumés d’histoire ancienne et moderne. Nous les avons retrouvés parmi ses papiers. Ils sont écrits avec beaucoup de netteté, d’un style simple et coulant, du reste sans jugemens ni réflexions ; ce sont des travaux de mnémotechnie, pour imprimer la suite des faits dans sa mémoire. Mais la sécheresse même de ces matériaux indique la force d’esprit de Carrel et la manière dont il entendra l’art de l’écrivain, si les évènemens le réduisent là. Carrel avait besoin d’une vue générale sur l’histoire universelle. Ces matériaux en sont les élémens les plus sommaires. Son imagination sommeillait pendant que son esprit parcourait la suite de l’histoire dans les évènemens généraux et incontestables. Ce n’est pas le seul mérite de ces ébauches. On ne sait de quoi s’étonner le plus, ou de la fer-