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et qu’il avait miraculeusement conservée au milieu de toutes les traverses de sa vie. Muir avait trente-trois ans quand il mourut, l’âge de Camille Desmoulins, l’âge que ce dernier déclarait fatal aux révolutionnaires, à commencer par Jésus-Christ !… Il y a, du reste, une certaine analogie entre Camille Desmoulins et Thomas Muir : même naïveté, même ardeur de jeunesse, même exaltation patriotique, même retour aux sentimens tendres dans la persécution ; mais Muir était plus saint et plus pur, le sang n’avait pas souillé ses mains. Les parens de Muir lui survécurent à peine deux années.

La terre inhospitalière de Sidney devait dévorer les autres réformistes. Le brillant Gerald, qui les avait enfin rejoints, mourut le premier, au printemps de l’année 1796. Au moment de rendre le dernier soupir, il se souleva en disant d’une voix lente et solennelle : « Je meurs pour la meilleure des causes, et je vous prends tous à témoin que je meurs sans regret et sans repentir ! » Sur la pierre de sa tombe à Farm-Cove, près du port Jackson, on lit ce peu de mots : Joseph Gerald, martyr des libertés de son pays. Mort dans sa 36e année.

Skirving succomba trois jours après lui. Palmer eut la force de survivre à ses compagnons ; les sept années de déportation auxquelles il avait été condamné étaient enfin écoulées, et il revenait dans sa patrie, quand il mourut de la fièvre, dans une des îles de l’Océan indien. Un ami fidèle, le ministre Ellis, qui avait poussé le dévouement jusqu’à l’accompagner dans son long exil, ne rapporta en Europe que son souvenir.

La guillotine est plus clémente que la baie des voleurs et des assassins ! s’était écrié Fox en plein parlement, quand il avait appris la condamnation des réformistes écossais. Ces paroles, que Pitt traitait de déclamation, n’étaient que trop vraies. Pas un des condamnés ne devait revenir de son exil. Aussi les partisans de la réforme en Écosse ne parlent-ils qu’avec indignation des juges tories et des infâmes jurys de 1793 et 1794. Dirigés par lord Eldon et Pitt, et choisis par Henry Dundas, secrétaire d’état, depuis lord Melville, les magistrats écossais persistèrent dans la voie de rigueur où ils s’étaient engagés. Une fois maîtres des chefs qu’ils tenaient dans leurs prisons, ou qu’ils avaient envoyés en exil, ils eurent bon marché de l’armée des novateurs. La convention dispersée n’osa plus se réunir. L’espionnage s’étendit comme un vaste réseau sur le pays qui, selon l’énergique expression de Jeffrey[1], semblait livré aux coureurs de places, aux Lapslie et

  1. Edinburgh Review, no 31.