Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 12.djvu/348

Cette page a été validée par deux contributeurs.
344
REVUE DES DEUX MONDES.

effacé par le brillant Gerald. Ses admirateurs de la veille l’oubliaient presque dans sa prison. On se disait que si Gerald fût venu plus tôt, et qu’il eût eu devant lui le temps dont Muir avait pu disposer, la cause de la réforme eût été gagnée. Le pouvoir sentit toute la portée d’une pareille influence, et il se décida à frapper Gerald comme il avait frappé Muir. Dans la nuit qui suivit la dernière réunion des réformistes d’Édimbourg, Gerald fut arrêté. On lui fit sur-le-champ son procès, ainsi qu’à Skirving, Margarot, et autres qui avaient été arrêtés dans la même nuit.

Gerald avait pour ami le fameux Godwin, l’auteur de Caleb Williams. Godwin était un des plus zélés partisans de la réforme ; quand il sut que son ami Gerald, Gerald le fils du soleil, comme il l’appelait, que Mackinstosh et lui avaient voulu retenir au moment du départ ; quand il sut que son ami devait comparaître devant un tribunal écossais, son affliction et ses terreurs furent extrêmes. Godwin connaissait le caractère bouillant et impétueux de Gerald ; il savait que son ami était de ce petit nombre d’hommes qui ne peuvent tenir la main fermée quand ils croient cette main pleine de vérités, ces vérités dussent-elles les perdre. Godwin se hâta donc d’écrire à Gerald pour lui offrir ses conseils et l’appui de son talent ; voici quelques fragmens de sa lettre, curieux monument du patriotisme du réformiste et de la sollicitude de l’ami.

« Si vous le voulez, Gerald, le jour de votre procès doit être un jour tel que l’Angleterre et le monde n’en ont pas encore vu de semblable. Il doit convertir bien des milliers d’hommes à la cause de la justice et de la raison. Quel noble enjeu est le vôtre ! Fortune, jeunesse, liberté, talent, vous avez tout placé sur un seul coup. Si vous devez succomber, que ce ne soit pas, je vous en conjure, sans avoir raconté à vos persécuteurs cette belle histoire d’où dépend la félicité des peuples… Gerald, n’oubliez jamais que les jurés sont des hommes, et que les hommes sont faits d’une matière malléable. Sondez les replis de leurs cœurs. N’usez pas surtout votre énergie en défiances et en vanteries inutiles. Que chacune de vos paroles soit dictée par la persuasion. Quel évènement pour l’Angleterre et l’humanité que la conquête de votre acquittement !… Cette conquête, un homme peut la faire… Gerald, cet homme, c’est vous. D’un esprit fécond, d’un sentiment moral énergique, armé de toutes les ressources que la méditation et une éducation littéraire peuvent donner, vous êtes à la hauteur de votre rôle ; vous n’avez qu’à être vous-même… Mais sur-