Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 12.djvu/339

Cette page a été validée par deux contributeurs.
335
RÉFORMISTES D’ÉCOSSE.

ami. Anne Fisher, la servante, était évidemment un témoin soudoyé. Sa leçon lui avait été faite, et elle la récita avec une volubilité qui prouvait plus en faveur de sa mémoire que de l’adresse de ceux qui l’avaient mise en avant. Elle racontait « qu’elle avait souvent entendu dire à M. Muir que le livre de Payne était un bon livre ; que ce livre, il l’avait prêté à des amis ; bien plus, que M. Muir avait dit à son coiffeur qu’il devrait bien laisser l’ouvrage de Payne dans sa boutique, pour éclairer ses pratiques sur leurs droits. » Anne Fisher ajoutait « qu’elle avait vu sur la table de Muir un dialogue qu’il avait lu en présence de sa mère, de sa sœur et autres personnes ; que Muir avait trouvé ce dialogue fort spirituel, et qu’il avait dit qu’il était écrit par un nommé Volnew (Volney), l’un des premiers esprits de France. La France était la plus florissante des nations, disait encore quelquefois Muir ; elle avait aboli la tyrannie et créé un gouvernement libre. Quant à la constitution anglaise, elle avait aussi du bon, mais les abus l’avaient gâtée ; elle avait besoin d’être réformée, etc., etc. »

Tels étaient les principaux griefs allégués contre Thomas Muir, et cela sur le seul témoignage de cette femme. L’infâme conduite de Lapslie et la déposition de la servante Anne Fisher avaient excité l’indignation de l’accusé ; la manière dont il discute ces témoignages est noble et éloquente. « Messieurs, dit-il à ses juges, l’espion de la famille a fait son métier avec une singulière vigilance. Cette femme n’a-t-elle pas été en effet jusqu’à vous dire quels livres étaient sur ma table !… Messieurs, à l’avenir fermez soigneusement vos bibliothèques ; car, pour peu qu’elles soient considérables, il n’est pas un crime dans le Décalogue dont vous ne puissiez être convaincu sur le témoignage de votre servante. Le possesseur de Platon, de Hume ou de Harrington, sera, lui, républicain : le savant qui aura sur ses tablettes le Koran de Mahomet sera, lui, mahométan… Le lord avocat d’Écosse mérite les éloges du pouvoir ; il a découvert de nouvelles et vastes régions dans la sphère déjà si étendue de la criminalité. Avec une ardeur comme la sienne, on ne peut manquer de revenir d’un voyage de découvertes dans ce monde nouveau avec de magnifiques collections. Hélas ! messieurs, je souris… mais mon sourire est triste, et meurt bientôt quand je viens à penser qu’aujourd’hui, à la fin du XVIIIe siècle, on a pu interroger la servante d’un homme sur le contenu des livres qu’il avait dans sa maison, et que, sur la dénonciation de cette femme, cet homme peut tout perdre au monde, la réputation, la fortune, la vie même….. Messieurs, vous avez entendu le témoignage d’Anne Fisher… Je vous le répète encore, si vous écoutez