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DES ÉTUDES HISTORIQUES DANS LE NORD.

documens historiques du moyen-âge, et les matériaux nécessaires pour composer un dictionnaire complet de la langue danoise. Il avait conçu cet ouvrage sur un large plan. Il a laissé seize volumes in-folio, qui n’en forment que la moitié. Langebek s’était déjà rendu célèbre par son érudition, et il n’avait toujours que sa modeste place d’employé secondaire à la bibliothèque. Il travaillait à enrichir son pays de toutes les ressources de sa science, et il restait pauvre. Les savans sont, comme les poètes, ignorans des calculs matériels, insoucieux de l’avenir ; ils s’abandonnent au charme de leurs études comme les poètes au charme de leurs rêves ; ils oublient le monde, et le monde les oublie. Plus d’une fois, en voyant son jeune protégé poursuivre avec tant de courage des travaux pénibles, et vivre d’une vie si obscure, Gram regretta de ne pas l’avoir laissé suivre sa carrière de prêtre, de ne pas lui avoir fait accorder un paisible presbytère de village, au lieu de le jeter dans les routes épineuses de la science.

En 1742, Gram avait formé le projet d’établir une société d’antiquaires ; il espérait y faire admettre Langebek comme secrétaire, et améliorer par là sa position. Mais le projet qu’il avait soumis au gouvernement fut rejeté. En 1743, le roi fonda l’Académie des sciences, et Langebek n’y fut pas admis. Malgré toute sa modestie, il savait pourtant apprécier ses travaux, et il sentit vivement l’affront qu’on lui faisait en l’excluant de l’Académie. Peu de temps après, il établit lui-même une société scientifique. C’était une humble société, composée de trois membres, dont Langebek était le président. Chacun mit en commun ses livres, ses manuscrits, ses médailles, et promit de concourir à la rédaction d’un nouveau recueil historique, qui parut sous le titre de Magasin danois. Mais peu à peu cette société grandit, des hommes puissans la prirent sous leur patronage, des hommes distingués demandèrent à y être admis, et le Magasin danois devint entre les mains de Langebek un journal historique d’un haut intérêt, et quelquefois une arme redoutable. Mais l’égalité n’existait pas en Danemark dans la république des lettres, et mal en prit au pauvre Langebek de vouloir s’attaquer à plus fort que lui. Un jour, il avait censuré, avec tous les ménagemens d’une extrême politesse, mais avec l’autorité de la science, les Annales ecclésiastiques de Pontoppidan[1]. L’auteur comprit qu’il perdrait sa cause devant le tribunal des savans, et il trouva un singulier moyen de réhabiliter son livre : il s’adressa au roi. Il était prédicateur de la cour ; il avait de l’influence sur Chrétien VI, et il obtint de lui un arrêt qui ordonnait aux professeurs de l’Université de faire comparaître devant eux le téméraire rédacteur du Magasin danois, et de lui dicter, en présence de Pontoppidan, une formule d’amende honorable, et une rétractation bien nette de toutes les critiques injustes qu’il avait osé écrire contre les Annales ecclésiastiques. Les professeurs obéirent à regret à cet ordre du souverain, et Langebek n’en fut sans doute pas très réjoui. Mais que faire ? Dans ce temps-là, le pouvoir

  1. Annales ecclesiæ danicæ diplomatici.