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LES DEUX MAÎTRESSES.

distance, je vous prouverai du moins ainsi la sincérité de mon amour, et vous y croirez malgré vous.

— Mais je vous dis que j’y crois, répondit Mme de Parnes avec un sourire malin ; adieu donc, ne faites pas cette folie.

Elle tendit la main à Valentin, et entr’ouvrit, pour se retirer, la porte de sa chambre à coucher. Ne faites pas cette folie, ajouta-t-elle d’un ton léger, ou si vous la faisiez par hasard, vous m’écririez un mot à Bruxelles, parce que de là on peut changer de route.

La porte se ferma sur ces paroles, et Valentin, resté seul, sortit de l’hôtel dans le plus grand trouble.

Il ne put dormir de la nuit, et le lendemain, au point du jour, il n’avait encore pris aucun parti sur la conduite qu’il tiendrait. Un billet assez triste de Mme Delaunay, reçu à son réveil, l’avait ébranlé sans le décider. À l’idée de quitter la veuve, son cœur se déchirait ; mais à l’idée de suivre en poste l’audacieuse et coquette marquise, il se sentait tressaillir de désir ; il regardait l’horizon, il écoutait rouler les voitures ; les folles équipées du temps passé lui revenaient en tête ; que vous dirai-je ? Il songeait à l’Italie, au plaisir, à un peu de scandale, à Lauzun déguisé en postillon ; d’un autre côté, sa mémoire inquiète lui rappelait les craintes si naïvement exprimées un soir par Mme Delaunay ; quel affreux souvenir n’allait-il pas lui laisser ! Il se répétait ces paroles de la veuve : Faut-il qu’un jour j’aie horreur de vous ?

Il passa la journée entière renfermé, et après avoir épuisé tous les caprices, tous les projets fantasques de son imagination : Que veux-je donc ? se demanda-t-il. Si j’ai voulu choisir entre ces deux femmes, pourquoi cette incertitude ? Et si je les aime toutes deux également, pourquoi me suis-je mis de mon propre gré dans la nécessité de perdre l’une ou l’autre ? Suis-je fou ? Ai-je ma raison ? Suis-je perfide ou sincère ? Ai-je trop peu de courage ou trop peu d’amour ?

Il se mit à sa table, et prenant le dessin qu’il avait fait autrefois, il considéra attentivement ce portrait infidèle qui ressemblait à ses deux maîtresses. Tout ce qui lui était arrivé depuis deux mois se représenta à son esprit ; le pavillon et la chambrette, la robe d’indienne et les blanches épaules, les grands dîners et les petits déjeuners, le piano et l’aiguille à tricoter, les deux mouchoirs, le coussin brodé, il revit tout. Chaque heure de sa vie lui donnait un conseil différent ; Non, se dit-il enfin, ce n’est pas entre deux femmes que