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la générosité d’un homme qui, pariant à coup sûr, a résolu d’avance de restituer le prix du pari.

Il m’est arrivé plusieurs fois de causer avec lui de ce sujet. Il vaut bien qu’on y pense, dans un pays où le point d’honneur a été, à certaines époques, une mode, et à toutes les époques, une habitude honorée. J’ai moins de timidité à en dire ici mon sentiment, Carrel me l’ayant entendu, avec intérêt, défendre à diverses reprises, hélas ! pour lui-même inutilement. À mon sens, disais-je, on ne doit de réparation qu’à l’homme qu’on a volontairement blessé dans son honneur, et il est très vrai qu’on élève jusqu’à soi celui qu’on s’est cru intéressé à offenser. Ici, le duel est inévitable. Si, au contraire, il s’agit, non plus d’injures faites, mais d’injures reçues, dans ce cas, un homme public n’est pas le seul juge de son honneur. Il y a, entre lui et l’offenseur, un arbitre qui décide moralement si l’injure a pu monter jusqu’à lui, et si les coups de plume ont porté. Cet arbitre, c’est le public, c’est le pays. J’ajoutais que, comme la vie d’un homme public ne vaut que par l’honneur, le talent, le bien qu’en retire la patrie, il n’est pas soutenable de dire qu’on puisse jouer celle qui a cette valeur contre une vie ou obscure, ou équivoque, ou inutile encore au pays ; que, malgré les erreurs de l’opinion, tout homme public ayant sa notoriété, c’est par cette notoriété, et non par le mouvement de son sang, qu’il doit régler sa susceptibilité, et qu’en ce sens, le duel doit avoir lieu entre notoriétés plutôt qu’entre personnes ; que de même que dans les assemblées publiques, l’auditoire a coutume d’appareiller les adversaires, en ne tolérant point qu’un homme sans études, un nouveau venu, se mesure avec une vieille renommée, de même, dans le public, on ne permet pas qu’un homme considérable s’émeuve des injures d’un éventé ; qu’un duel entre personnes trop inégales attire à la plus considérable le reproche d’avoir encore plus de vanité que d’honneur, et à la moindre des deux l’accusation épouvantable d’y avoir cherché autre chose que la satisfaction du sien ; que, si le préjugé public favorise et perpétue dans le duel une sorte de justice des mœurs, plus délicate que la justice des lois, il ne peut pas approuver un duel où, des deux adversaires, l’un fait soupçonner sa susceptibilité de faiblesse, et l’autre fait accuser la sienne de calcul ; que, pour lui en particulier, après tant de preuves publiques de courage, ces idées avaient bien plus de force, et qu’il serait beau qu’il les établît par quelque exemple d’indifférence et de mépris muet bien plus difficile à donner, et qu’on lui compterait plus qu’un nouveau duel inutile et peut-être malheureux ; qu’après tout,