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que mieux. « Adieu, disait la veuve en terminant sa lettre ; soyez heureux. »

Dire à un amant qu’on bannit : Soyez heureux, qu’en pensez-vous, madame ? N’est-ce pas lui dire : Je ne suis pas heureuse ? Le vendredi venu, Valentin hésita long-temps s’il irait ou non chez le notaire. Malgré son âge et son étourderie, l’idée de nuire à qui que ce fût lui était insupportable. Il ne savait à quoi se décider, lorsqu’il se répéta : Soyez heureux ! Et il courut chez M. des Andelys.

Pourquoi Mme Delaunay y était-elle ? Quand notre héros entra dans le salon, il la vit froncer le sourcil avec une singulière expression. Pour ce qui regarde les manières, il y avait bien en elle quelque coquetterie ; mais, au fond du cœur, personne n’était plus simple, plus inexpérimentée que Mme Delaunay. Elle avait pu, en voyant le danger, tenter hardiment de s’en défendre ; mais pour résister à une lutte engagée, elle n’avait pas les armes nécessaires. Elle ne savait rien de ces manèges habiles, de ces ressources toujours prêtes, au moyen desquelles une femme d’esprit sait tenir l’amour en lisière et l’éloigner ou l’appeler tour à tour. Quand Valentin lui avait baisé la main, elle s’était dit : Voilà un mauvais sujet dont je pourrais bien devenir amoureuse ; il faut qu’il parte sur-le-champ. Mais lorsqu’elle le vit, chez le notaire, entrer gaiement sur la pointe du pied, serré dans sa cravate et le sourire sur les lèvres, la saluant, malgré sa défense, avec un gracieux respect, elle se dit : Voilà un homme plus obstiné et plus rusé que moi ; je ne serai pas la plus forte avec lui, et puisqu’il revient, il m’aime peut-être.

Elle ne refusa pas, cette fois, la contredanse qu’il lui demandait ; aux premières paroles, il vit en elle une grande résignation et une grande inquiétude. Au fond de cette ame timide et droite, il y avait quelque ennui de la vie ; tout en désirant le repos, elle était lasse de la solitude. M. Delaunay, mort fort jeune, ne l’avait point aimée ; il l’avait prise pour ménagère, plutôt que pour femme, et quoiqu’elle n’eût point de dot, il avait fait, en l’épousant, ce qu’on appelle un mariage de raison. L’économie, l’ordre, la vigilance, l’estime publique, l’amitié de son mari, les vertus domestiques en un mot, voilà ce qu’elle connaissait en ce monde. Valentin avait, dans le salon de M. des Andelys, la réputation que tout jeune homme dont le tailleur est bon, peut avoir chez un notaire. On n’en parlait que comme d’un élégant, d’un habitué de Tortoni, et les petites cousines se chuchotaient entre elles des histoires de l’autre monde qu’on lui attribuait. Il était descendu par une cheminée chez une baronne ; il avait sauté