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LES DEUX MAÎTRESSES.

passer par mégarde. Il entra là-dessus, traversa le salon, et trouva la marquise seule dans sa chambre à coucher.

Elle lui parut, s’il faut tout dire, beaucoup moins en colère que son billet. Elle lui fit pourtant, vous vous y attendez, des reproches de sa conduite, et lui demanda fort sèchement par quel hasard il entrait ainsi. Il répondit d’un air naturel qu’il n’avait point rencontré de domestique pour se faire annoncer, et qu’il venait offrir, en toute humilité, les très humbles excuses de sa conduite.

— Et quelles excuses en pouvez-vous donner ? demanda Mme de Parnes.

Le mot de méprise qui se trouvait dans le billet, revint par hasard à la mémoire de Yalentin ; il lui sembla plaisant de prendre ce prétexte, et de dire ainsi la vérité. Il répondit donc que la lettre insolente dont se plaignait la marquise, n’avait pas été écrite pour elle, et qu’elle lui avait été apportée par erreur. Persuader une pareille affaire n’était pas facile, comme bien vous pensez. Comment peut-on écrire un nom et une adresse par méprise ? Je ne me charge pas de vous expliquer par quelle raison Mme de Parnes crut ou feignit de croire à ce que Valentin lui disait. Il lui raconta, du reste, plus sincèrement qu’elle ne le pensait, qu’il était amoureux d’une jeune veuve, que cette veuve, par le hasard le plus singulier, ressemblait beaucoup à Mme la marquise, qu’il la voyait souvent, qu’il l’avait vue la veille ; il dit, en un mot, tout ce qu’il pouvait dire, en retranchant le nom et quelques petits détails que vous devinerez.

Il n’est pas sans exemple qu’un amoureux novice se serve de fables de ce genre pour déguiser sa passion. Dire à une femme qu’on en aime une autre qui lui est semblable en tout point, c’est à la rigueur un moyen romanesque qui peut donner le droit de parler d’amour ; mais il faut, je crois, pour cela, que la personne auprès de laquelle on emploie de pareils stratagèmes y mette un peu de bonne volonté ; fut-ce ainsi que la marquise l’entendit ? Je l’ignore. La vanité blessée plutôt que l’amour avait amené Valentin ; plutôt que l’amour, la vanité flattée apaisa Mme de Parnes ; elle en vint même à faire au jeune homme quelques questions sur sa veuve ; elle s’étonnait de la ressemblance dont il lui parlait ; elle serait, disait-elle, curieuse d’en juger par ses yeux ; quel est son âge ? demandait-elle ; est-elle plus petite ou plus grande que moi ? a-t-elle de l’esprit ? où va-t-elle ? est-ce que je ne la connais pas ?

À toutes ces demandes, Valentin répondait, autant que possible, la vérité. Cette sincérité de sa part avait, à chaque mot, l’air d’une