Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 12.djvu/279

Cette page a été validée par deux contributeurs.
275
LES DEUX MAÎTRESSES.

et tout son discours pouvait se réduire à cette phrase : « Éloignez-vous ; j’ai peur de vous aimer. »

Quand elle se tut, Valentin la regarda à la fois avec étonnement, avec chagrin et avec un exprimable plaisir. Je ne sais quel orgueil le saisissait ; il y a toujours de la joie à se sentir battre le cœur. Il ouvrait les lèvres pour répondre, et cent réponses lui venaient en même temps ; il s’enivrait de son émotion et de la présence d’une femme qui osait lui parler ainsi. Il voulait lui dire qu’il l’aimait, il voulait lui promettre de lui obéir, il voulait lui jurer de ne la jamais quitter, il voulait la remercier de son bonheur, il voulait lui parler de sa peine ; enfin mille idées contradictoires, mille tourmens et mille délices lui traversaient l’esprit, et, au milieu de tout cela, il était sur le point de s’écrier malgré lui : Mais vous m’aimez !

Pendant toutes ces hésitations, on dansait un galop dans le salon. C’était la mode en 1825 ; quelques groupes s’étaient lancés et faisaient le tour de l’appartement ; la veuve se leva ; elle attendait toujours la réponse du jeune homme. Une singulière tentation s’empara de lui, en voyant passer la joyeuse promenade : « Eh bien ! oui, dit-il, je vous le jure, vous me voyez pour la dernière fois. » En parlant ainsi, il entoura de son bras la taille de Mme Delaunay. Ses yeux semblaient dire : « Cette fois encore, soyons amis, imitons-les. » Elle se laissa entraîner en silence, et bientôt, comme deux oiseaux, il s’envolèrent au bruit de la musique.

Il était tard, et le salon était presque vide ; les tables de jeu étaient encore garnies ; mais il faut savoir que la salle-à-manger du notaire faisait un retour sur l’appartement, et qu’elle se trouvait alors complètement déserte. Les galopeurs n’allaient pas plus loin ; ils tournaient autour de la table, puis revenaient au salon. Il arriva que, lorsque Valentin et Mme Delaunay passèrent à leur tour dans cette salle-à-manger, aucuns danseurs ne les suivaient ; ils se trouvèrent donc tout à coup seuls, au milieu du bal ; un regard rapide, jeté en arrière, convainquit Valentin qu’aucune glace, aucune porte ne pouvait le trahir ; il serra la jeune veuve sur son cœur, et, sans lui dire une parole, posa ses lèvres sur son épaule nue.

Le moindre cri échappé à Mme Delaunay aurait causé un affreux scandale. Heureusement pour l’étourdi, sa danseuse se montra prudente ; mais elle ne put se montrer brave en même temps, et elle serait tombée, s’il ne l’avait retenue. Il la retint donc, et en rentrant au salon, elle s’arrêta, appuyée sur son bras, pouvant à peine respirer. Que n’eût-il pas donné pour pouvoir compter les battemens de ce