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danger. Les escarmouches amoureuses sont le passe-temps des belles oisives. Elles savent se défendre et ont, quand elles veulent, l’occasion de se distraire. Mais Mme Delaunay était trop occupée, trop sédentaire ; elle voyait trop peu de monde, elle travaillait trop aux ouvrages d’aiguille qui laissent rêver et font quelquefois rêver ; elle était trop pauvre, en un mot, pour se laisser baiser la main. Non pas qu’aujourd’hui elle se crût en péril ; mais qu’allait-il arriver demain si Valentin lui parlait d’amour, et si, après-demain, elle lui fermait sa maison, et si, le jour suivant, elle s’en repentait ? L’ouvrage irait-il pendant ce temps-là ? Y aurait-il le soir le nombre de points voulu ? (Je vous expliquerai ceci plus tard.) Mais qu’allait-on dire, en tout cas ? Une femme qui vit presque seule est bien plus exposée qu’une autre. Ne doit-elle pas être plus sévère ? Mme Delaunay se disait qu’au risque d’être ridicule, il fallait éloigner Valentin, avant que son repos ne fût troublé. Elle voulait donc parler, mais elle était femme, et il était là ; le droit de présence est le plus fort de tous, et le plus difficile à combattre.

Dans un moment où tous les motifs que je viens d’indiquer brièvement, se représentaient à elle avec force, elle se leva. Valentin était en face d’elle, et leurs regards se rencontrèrent ; depuis une heure, le jeune homme réfléchissait, seul, à l’écart, et lisait aussi de son côté dans les grands yeux de Mme Delaunay chaque pensée qui l’agitait. À sa première impatience avait succédé la tristesse. Il se demandait si, en effet, c’était là une prude ou une coquette, et plus il cherchait dans ses souvenirs, plus il examinait le visage timide et pensif qu’il avait devant lui, plus il se sentait saisi d’un certain respect. Il se disait que son étourderie était peut-être plus grave qu’il ne l’avait cru. Quand Mme Delaunay vint à lui, il savait ce qu’elle allait lui demander. Il voulait lui en éviter la peine ; mais il la trouva trop belle et trop émue, et il aima mieux la laisser parler.

Ce ne fut pas sans trouble qu’elle s’y décida, et qu’elle en vint à tout expliquer. La fierté féminine, en cette circonstance, avait une rude atteinte à subir. Il fallait avouer qu’on était sensible, et cependant ne pas le laisser voir ; il fallait dire qu’on avait tout compris, et cependant paraître ne rien comprendre. Il fallait dire enfin qu’on avait peur, dernier mot que prononce une femme ; et la cause de cette crainte était si légère ! Dès ses premières paroles, Mme Delaunay sentit qu’il n’y avait, pour elle, qu’un moyen de n’être ni faible, ni prude, ni coquette, ni ridicule ; c’était d’être vraie. Elle parla donc,