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— Non, dit-elle assez sèchement ; personne n’a le droit de faire un portrait sans le consentement du modèle.

Elle s’était rassise à ce mot, et Valentin, la voyant un peu agitée, s’approcha d’elle et se sentit plus hardi. Soit repentir d’avoir laissé voir le plaisir qu’elle avait d’abord ressenti, soit désappointement, soit impatience, Mme Delaunay avait la main tremblante. Valentin, qui venait de baiser celle de Mme de Parnes, et qui ne l’avait pas fait trembler pour cela, prit, sans autre réflexion, celle de la veuve. Elle le regarda d’un air stupéfait, car c’était la première fois qu’il arrivait à Valentin d’être si familier avec elle. Mais quand elle le vit s’incliner et approcher ses lèvres de sa main, elle se leva, lui laissa prendre sans résistance un long baiser sur sa mitaine, et lui dit avec une extrême douceur :

— Mon cher monsieur, ma mère a besoin de moi ; je suis fâchée de vous quitter.

Elle le laissa seul sur ce compliment, sans lui donner le temps de la retenir et sans attendre sa réponse. Il se sentit fort inquiet ; il eut peur de l’avoir blessée ; il ne pouvait se décider à s’en aller et restait debout, attendant qu’elle revînt. Ce fut la mère qui reparut, et il craignit, en la voyant, que son imprudence ne lui coûtât cher ; il n’en fut rien ; la bonne dame, de l’air le plus riant, venait lui tenir compagnie pendant que sa fille repassait sa robe pour aller le soir à son petit bal. Il voulut attendre encore quelque temps, espérant toujours que la belle boudeuse allait pardonner ; mais la robe était, à ce qui paraît, fort ample ; le temps de se retirer arriva, et il fallut partir sans connaître son sort.

Rentré chez lui, notre étourdi ne se trouva pourtant pas trop mécontent de sa journée. Il repassa peu à peu dans sa tête toutes les circonstances de ses deux visites ; comme un chasseur qui a lancé le cerf, et qui calcule ses embuscades, ainsi l’amoureux calcule ses chances et raisonne sa fantaisie. La modestie n’était pas le défaut de Valentin. Il commença par convenir avec lui-même que la marquise lui appartenait. En effet, il n’y avait eu de la part de Mme de Parnes ombre de sévérité ni de résistance. Il fit cependant réflexion que, par cette raison même, il pouvait bien n’y avoir eu qu’une ombre légère de coquetterie. Il y a de très belles dames de par le monde qui se laissent baiser la main, comme le pape laisse baiser sa mule ; c’est une formalité charitable ; tant mieux pour ceux qu’elle mène en paradis. Valentin se dit que la pruderie de la veuve promettait peut-être plus, au fond, que le laisser-aller de la marquise. Mme Delau-