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LES DEUX MAÎTRESSES.

reste seul tout à coup. Si Valentin eût été plus sage, il aurait fait comme les autres, et serait parti de son côté ; mais les plaisirs avaient été chers, et sa bourse vide le retenait à Paris. Regrettant son imprévoyance, aussi triste qu’on peut l’être à vingt-cinq ans, il songeait à passer l’été et à faire, non de nécessité vertu, mais de nécessité plaisir, s’il se pouvait. Sorti un matin par une de ces belles journées, où tout ce qui est jeune sort sans savoir pourquoi, il ne trouva, en y réfléchissant, que deux endroits où il put aller, chez Mme de Parnes ou chez Mme Delaunay. Il fut chez toutes deux le jour même, et ayant agi ainsi en gourmand, il se trouva désœuvré le lendemain. Ne pouvant recommencer ses visites avant quelques jours, il se demanda quel jour il le pourrait ; après quoi, involontairement, il repassa dans sa tête ce qu’il avait dit et entendu durant ces deux heures, devenues précieuses pour lui.

La ressemblance dont je vous ai parlé, et qui ne l’avait pas jusqu’alors frappé, le fit sourire d’abord. Il lui parut étrange que deux jeunes femmes, dans des positions si diverses, et dont l’une ignorait l’existence de l’autre, eussent l’air d’être les deux sœurs. Il compara dans sa mémoire leurs traits, leur taille et leur esprit ; chacune des deux lui fit tour à tour moins aimer ou mieux goûter l’autre. Mme de Parnes était coquette, vive, minaudière et enjouée ; Mme Delaunay était aussi tout cela, mais pas tous les jours, au bal seulement, et à un degré, pour ainsi dire, plus tiède. La pauvreté sans doute en était cause. Cependant, les yeux de la veuve brillaient parfois d’une flamme ardente qui semblait se concentrer dans le repos, tandis que le regard de la marquise ressemblait à une étincelle brillante, mais fugitive. C’est bien la même femme, se disait Valentin ; c’est le même feu, voltigeant là sur un foyer joyeux, ici couvert de cendres. Peu à peu, il vint aux détails ; il pensa aux blanches mains de l’une effleurant son clavier d’ivoire, aux mains un peu maigres de l’autre tombant de fatigue sur ses genoux. Il pensa au pied, et il trouva bizarre que la plus pauvre fût la mieux chaussée ; elle faisait ses guêtres elle-même. Il vit la dame de la Chaussée-d’Antin, étendue sur sa chaise longue, respirant la fraîcheur, les bras nus dès le matin. Il se demandait si Mme Delaunay avait d’aussi beaux bras sous ses manches d’indienne, et je ne sais pourquoi il tressaillit à l’idée de voir Mme Delaunay les bras nus ; puis il pensa aux belles touffes de cheveux noirs de Mme de Parnes, et à l’aiguille à tricoter que Mme Delaunay plantait dans sa natte en causant. Il prit un crayon et chercha à retracer sur le papier la double image qui l’occupait. À force