Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 12.djvu/265

Cette page a été validée par deux contributeurs.
261
LES DEUX MAÎTRESSES.

je suppose, par la tête, de se rendre compte de ce que peut être la vie d’un tel qui a cent mille francs à manger par an. Voilà mon étourdi, qui, toute une journée, n’en agissait ni plus ni moins que s’il eût été le personnage en question. Jugez où cela peut conduire avec un peu d’intelligence et de curiosité. Le raisonnement de Valentin, sur sa manière de vivre, était, du reste, assez plaisant. Il prétendait qu’à chaque créature vivante revient de droit une certaine somme de jouissance ; il comparait cette somme à une coupe pleine que les économes vident goutte à goutte, et qu’il buvait, lui, à grands traits. Je ne compte pas les jours, disait-il, mais les plaisirs, et le jour où je dépense vingt-cinq louis, j’ai cent quatre-vingt-deux mille cinq cents livres de rente.

Au milieu de toutes ces folies, Valentin avait dans le cœur un sentiment qui devait le préserver ; c’était son affection pour sa mère. Sa mère, il est vrai, l’avait toujours gâté ; c’est un tort, dit-on, je n’en sais rien ; mais, en tout cas, c’est le meilleur et le plus naturel des torts. L’excellente femme qui avait donné la vie à Valentin fit tout au monde pour la lui rendre douce. Elle n’était pas riche, comme vous savez. Si tous les petits écus glissés en cachette dans la main de l’enfant chéri s’étaient trouvés tout à coup rassemblés, ils auraient pourtant fait une belle pile. Valentin, dans tous ses désordres, n’eut jamais d’autre frein que l’idée de ne pas rapporter un chagrin à sa mère ; mais cette idée le suivait partout. D’un autre côté, cette affection salutaire ouvrait son cœur à toutes les bonnes pensées, à tous les sentimens honnêtes. C’était pour lui la clé d’un monde qu’il n’eût peut-être pas compris sans cela. Je ne sais qui a dit le premier, qu’un être aimé n’est jamais malheureux ; celui-là eût pu dire encore : « Qui aime sa mère n’est jamais méchant. » Quand Valentin regagnait le logis, après quelque folle équipée,

Traînant l’aile, et tirant le pié,


sa mère arrivait et le consolait. Qui pourrait compter les soins patiens, les attentions en apparence faciles, les petites joies intérieures, par lesquels l’amitié se prouve en silence, et rend la vie douce et légère ? J’en veux citer un exemple en passant.

Un jour que l’étourdi garçon avait vidé sa bourse au jeu, il venait de rentrer de mauvaise humeur. Les coudes sur sa table, la tête dans ses mains, il se livrait à ses idées sombres. Sa mère entra, tenant un gros bouquet de roses dans un verre d’eau, qu’elle posa