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parens de Valentin vivaient à la campagne. Sous prétexte de faire son droit, il passait son temps à se promener aux Tuileries et au boulevart. Sur ce terrain, il était à l’aise ; mais quand ses amis le quittaient pour monter à cheval, force lui était de rester à pied, seul et un peu désappointé. Son tailleur lui faisait crédit ; mais à quoi sert l’habit, quand la poche est vide ? Les trois quarts du temps il en était là. Trop fier pour vivre en parasite, il prenait à tâche de dissimuler ses secrets motifs de sagesse, refusait dédaigneusement des parties de plaisir où il ne pouvait payer son écot, et s’étudiait à ne toucher aux riches que dans ses jours de richesse.

Ce rôle, difficilement soutenu, tomba devant la volonté paternelle ; il fallut choisir un état ; Valentin entra dans une maison de banque. Le métier de commis ne lui plaisait guère, encore moins le travail quotidien. Il allait au bureau l’oreille un peu basse ; il avait fallu renoncer aux amis en même temps qu’à la liberté ; il n’en était pas honteux, mais il s’ennuyait. Quand arrivait, comme dit André Chénier, le jour de la veine dorée, une sorte de fièvre le saisissait. Qu’il eût des dettes à payer ou quelque emplette utile à faire, la présence de l’or le troublait à tel point, qu’il en perdait la réflexion. Dès qu’il voyait briller dans ses mains un peu de ce rare métal, il sentait son cœur tressaillir, et ne pensait plus qu’à courir, s’il faisait beau. Quand je dis courir, je me trompe ; on le rencontrait, ces jours-là, dans une bonne voiture de louage, qui le menait au Rocher de Cancale ; là, étendu sur les coussins, respirant l’air ou fumant son cigare, il se laissait bercer mollement, sans jamais songer à demain ; demain pourtant, c’était l’ordinaire, il fallait redevenir commis ; mais peu lui importait, pourvu qu’à tout prix il eût satisfait son imagination. Les appointemens du mois s’envolaient ainsi en un jour. Il passait, disait-il, ses mauvais momens à rêver, et ses bons momens à réaliser ses rêves ; tantôt à Paris, tantôt à la campagne, on le rencontrait avec son fracas, presque toujours seul, preuve que ce n’était pas vanité de sa part. D’ailleurs, il faisait ses extravagances avec la simplicité d’un grand seigneur qui se passe un caprice. Voilà un bon commis, direz-vous ; aussi le mit-on à la porte.

Avec la liberté et l’oisiveté revinrent des tentations de toute sorte. Quand on a beaucoup de désirs, beaucoup de jeunesse et peu d’argent, on court grand risque de faire des sottises. Valentin en fit d’assez grandes. Toujours poussé par sa manie de changer des rêves en réalité, il en vint à faire les plus dangereux rêves. Il lui passait