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pos, et fait servir, en quelque sorte, l’histoire de complément à la géographie. Ce livre révèle, mieux que tout autre, de quelle utilité sont les études historiques à un voyageur. M. Valéry aurait, à coup sûr, écrit un ouvrage moins consciencieux et moins utile, si, avant de visiter la Corse, il n’avait lu son vieil et national historien Filippini. « La terre de Corse, dit-il en rapportant un beau trait de Cervoni, la terre de Corse rappelle à chaque pas de nobles et courageuses actions ; elle n’a jamais eu qu’assez peu d’habitans ; elle compte prodigieusement d’hommes et même de femmes. » Ce jugement n’a rien d’exagéré ; chaque page du livre le prouve, et l’on peut croire que M. Valéry s’est borné à choisir parmi les traditions héroïques du pays. Un travail plus complet sur cette matière eût dépassé les limites de son livre. L’histoire de cette petite nation a le même caractère de grandeur épique et de merveilleux que l’histoire des républiques anciennes. Les hommes d’Athènes et de Sparte pourraient tendre la main, sans rougir, aux patriotes de Sartène et de Corte. La Corse peut citer avec orgueil, à côté des héros anciens, les trois Sampiero, les Paoli, les Cervoni, les Abbatucci.

M. Valéry n’a pas cependant laissé l’histoire usurper la place de la description et des souvenirs. À côté de la tradition, il a fait une part assez large au tableau des mœurs et du pays qu’il parcourait. La nature est admirée franchement, sans emphase. La simplicité du plan de ce livre, son but, qui est d’instruire avant d’amuser, ne comportaient pas plus d’abandon, plus d’aisance dans les développemens pittoresques. M. Valéry, en restant simple et concis, a fait preuve d’un excellent goût ; son livre n’a pas cessé d’être intéressant en devenant substantiel.

La seconde partie des Voyages est entièrement consacrée à l’île d’Elbe. Le séjour à Porto-Longone et Porto-Ferrajo, la visite au Mont-Serrat, sont des chapitres pleins de charme et d’intérêt. Les habitans de l’île d’Elbe ne ressemblent en rien aux sauvages montagnards de la Corse. C’est la douceur, l’élégance de la civilisation toscane succédant à la rudesse africaine. Ce contraste a été bien compris par M. Valéry. L’histoire de l’île d’Elbe est toutefois peu féconde en grands souvenirs. Le voyageur a justement apprécié l’importance de cette île en peu de mots : « L’île d’Elbe, dit-il, qui n’a que dix-sept mille habitans, fut, depuis Rome jusqu’à l’empire français, un de ces points rares, isolés, espèces de vastes casernes jetées en Europe pour l’observer ou la contenir. L’occupation militaire, la conquête, faisaient leur vie ; ils languissent et meurent par la paix. »

Au résumé, la critique ne doit que des encouragemens à cette publication, dont le premier volume a seulement paru. Le livre de M. Valéry deviendra certainement, pour les voyageurs qui visiteront la Corse et l’île d’Elbe, un compagnon indispensable et le plus éloquent des cicérone. C’est dire assez que nous le plaçons au même rang que les Voyages historiques et littéraires en Italie, et que nous lui prédisons le même succès.


— Le roman de Valérie, de Mme de Krüdner, dont les éditions devenaient rares, vient d’être réimprimé en 2 volumes in-8o. Il est précédé de la Notice de M. Sainte-Beuve, que nos lecteurs ont lue dans la livraison du 15 juillet.


F. BULOZ.