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cette grande affaire avec toute la sollicitude qu’elle mérite, et les intérêts de la France auront en lui un zélé défenseur.

La Belgique est à juste titre fière de son indépendance, de sa prospérité, du calme dont elle jouit ; elle montre avec orgueil, au voyageur étonné, cette belle ligne de chemins de fer, achevée sur beaucoup de points, et qui dans dix-huit mois se développera sans interruption d’Anvers à Aix-la-Chapelle ; son commerce extérieur s’accroît ; le mouvement de ses ports augmente d’année en année ; la marine marchande entreprend des expéditions lointaines qui nécessitent, cette année même, l’établissement de plusieurs nouveaux consulats. La France jouit de tout ce bonheur et ne lui porte pas envie ; mais il est impossible que dans les deux pays on ne songe pas quelquefois à la politique désintéressée, généreuse, résolue au jour du danger, qui a permis à la Belgique affranchie de développer avec sécurité toutes les ressources de sa nature industrieuse, de son sol et de sa position. Nous croyons que ce sentiment n’est pas étranger à la Belgique, mais nous ne sommes pas bien sûrs qu’il ait toujours chez elle, dans la pratique, autant d’influence qu’on serait en droit de le supposer, et nous désirons que les esprits s’y abandonnent avec moins de réserve qu’à l’ordinaire, dans la prochaine discussion du nouveau tarif des douanes, envers les produits de l’industrie française.

Nous ne voulons répéter sur les grandes manœuvres de Wossnesensk, ni les fougueuses descriptions que les admirateurs enthousiastes de la Russie en ont faites, ni les détails révoltans que l’on a donnés, d’après des correspondances fort suspectes, sur les moyens employés pour rendre les fêtes plus complètes et plus brillantes. Nous nous défions presque également des unes et des autres, et nous voudrions être justes même envers la Russie, parce que c’est à la fois plus simple et de meilleur goût. Eh bien ! pour être justes, nous dirons d’abord que si l’empereur Nicolas a voulu imposer à l’Europe occidentale par ce grand déploiement de forces militaires, il a manqué son effet ; car on sait fort bien, par toute l’Europe, que le gouvernement russe peut réunir une armée considérable, qu’il a une nombreuse cavalerie, et que les colonies militaires sont puissamment organisées pour lui assurer, sous ce rapport, d’immenses ressources. Mais ce qu’on sait bien aussi, c’est que pour mettre en mouvement ces masses énormes, il faudrait à la Russie des moyens pécuniaires qu’elle n’a pas, ou du moins qu’elle n’a pas encore, et que la population, c’est-à-dire le premier élément des forces productives de ce vaste empire, ne répond ni à son étendue, ni à l’appareil de puissance militaire que l’empereur déploie avec tant d’ostentation et avec une prédilection poussée quelquefois jusqu’au puéril. Mais enfin, l’empereur s’est donné là un beau spectacle ; il a fait manœuvrer cinquante à soixante mille cavaliers ; il a nommé la grande-duchesse Marie colonel d’un régiment de cuirassiers ; il a distribué des grades supérieurs dans l’armée russe à l’archiduc Jean d’Autriche et aux deux princes prussiens qui ont assisté aux revues de Wossnesensk, ce qui, du reste, ne calme pas du tout les secrètes inquiétudes des cabinets de Vienne et de Berlin ; il s’est livré à toute sa fougueuse passion pour le mouvement, le bruit, l’éclat, le théâtral ; il a posé pendant dix jours dans une petite ville du gouvernement d’Ekaterinoslaf, et il a, comme Pompée, joui des applaudissemens de son parterre, que d’habiles échos ont ensuite répétés de distance en distance, dans toute l’étendue du continent. Il y a bien un revers de médaille. Ce grand spec-