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mis de placer aux Tuileries les guerriers et les hommes d’état qui ont consacré leur vie au bonheur et à la gloire de la France. Pour exciter l’admiration et la sympathie, il n’est pas nécessaire de prêter à Bayard et à Duguesclin les traits d’Hector et d’Agamemnon. La cuirasse et la cotte de mailles, quoique moins belles sous le ciseau que la chair vivante, seront toujours, pour un sculpteur habile, l’occasion d’un triomphe. Pourquoi la liste civile n’a-t-elle pas placé aux Tuileries des figures tirées de l’histoire de France ? Je ne crois pas qu’elle puisse le dire. Elle a trouvé plus simple de demander à chaque sculpteur une statue, quelle qu’elle fût ; et voyez ce qui est arrivé. Chacun a suivi son penchant sans s’inquiéter de ce que les autres allaient faire, et la médiocrité commune au plus grand nombre de ces ouvrages est devenue plus frappante encore par le caprice individuel qui a présidé au choix des sujets. Puisque chacun n’a consulté que lui-même, et a déployé librement toutes ses facultés, nous sommes en droit de demander à chacun un bon ouvrage ; l’indulgence n’est pas permise en face de ces œuvres insignifiantes dont les auteurs ont choisi le thème et le programme. Les statues des Tuileries confirment victorieusement et d’une façon déplorable ce que nous avons si souvent répété en parlant de la distribution des travaux de peinture et de sculpture. Si la composition et l’exécution de ces statues eussent été confiées à un seul homme, et certes une pareille hypothèse n’a rien d’extravagant, nous n’aurions pas à regretter l’incohérence que nous signalons. Si un seul homme eût été chargé de cette décoration, quelle que fût la pente de ses préférences, qu’il se décidât pour la Grèce ou pour la France, pour la Judée ou l’Italie, du moins il eût mis de l’unité dans son travail ; il n’aurait pas mis en loterie les noms des personnages destinés à orner le jardin. Mais la raison voulait que le statuaire, libre dans la composition et l’exécution de son œuvre, acceptât et ne choisît pas les personnages confiés à son ciseau. Et comme il est assurément plus facile d’appeler l’intérêt sur l’histoire nationale que sur l’histoire grecque ou romaine, tout se réunissait pour prescrire à la liste civile le choix de personnages français. En livrant au hasard le sujet des ouvrages qu’elle demande, elle manque à la mission qu’elle s’est donnée, dont elle se glorifie ; au lieu d’encourager les arts, que les chambres négligent comme inutiles, elle les déprave et les abâtardit. En plaçant sur la même ligne M. Lemaire et M. David, M. Debay et M. Pradier, en mettant le talent éprouvé au même rang que la médiocrité authentique, elle trahit les intérêts qu’elle prétend protéger.