Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 12.djvu/227

Cette page a été validée par deux contributeurs.
223
LE LÉZARD DE SAINT-OMER.

connu de vous que de vos échevins. C’est parce qu’ils me savent capable de tout oser qu’ils m’ont conduit ici, au lieu de me mener pendre, ce qui eût été une grande fête pour eux. S’il n’avait dû se trouver dans votre dépense que des rats, c’est un chat qu’ils vous eussent envoyé et non le chevalier de Wolfskruyt.

— Mais, chevalier…

— Mais, frère Anselme, sachez bien que ce n’est pas pour me divertir que j’ai passé, debout et perché sur un tonneau comme un ménétrier de village, la première nuit où j’aurais pu retrouver un bon lit. J’aime à dormir comme tout fils de bonne mère, et si quelquefois la lune me surprend en observation, c’est que le soleil doit bientôt me voir en action. Ma veille, au reste, n’a pas été sans fruit, puisque je connais votre voleur ; mais il y avait un receleur que j’aurais aimé à voir, le compagnon qui lui tenait la porte entrebaillée. Demain il aura ma visite.

Le lendemain, en effet, Wolfskruyt était armé dès l’aube, et il allait partir pour réveiller ses gens lorsqu’il vit entrer frère Anselme. Le moine venait, non plus pour essayer de le faire renoncer à sa périlleuse entreprise (il sentait que ce serait peine perdue), mais pour lui rappeler qu’il pouvait, dans quelques heures, être brusquement retiré du monde, et le préparer au compte qu’il aurait à rendre dans l’autre.

Il y avait long-temps que le chevalier n’avait reçu d’un homme de bien quelque marque d’intérêt, et il ne fut pas insensible à celle-ci ; d’ailleurs il n’eut pas le temps de se fatiguer du sermon, qui fut promptement interrompu par l’arrivée de ses hommes. Après les avoir instruits, en peu de mots, des évènemens de la nuit, il les conduisit sur le lieu où devait s’engager l’action et leur distribua les rôles.

— Vous que j’ai vus manier si bien le levier, quand il fallait faire sauter une porte des gonds ou se frayer un passage au travers d’une muraille, vous ne serez pas embarrassés pour me soulever cette pierre ; toi, tu l’empêcheras de retomber, en poussant cette poutrelle ; pour nous, soyons prêts, dès que la brèche sera ouverte, à saluer d’une bonne volée les habitans du château noir.

Ces ordres furent exécutés avec la précision qu’on eût pu attendre des soldats les mieux disciplinés. La pierre, ébranlée par les mouvemens alternatifs de deux fortes pinces de fer, monta peu à peu et enfin laissa voir une étroite ouverture à travers laquelle volèrent aussitôt trois carreaux d’arbalète. Au même instant une sorte de ron-