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LE LÉZARD DE SAINT-OMER.

« Il y avait autrefois dans la ville de Saint-Omer un couvent richement doté, mais dont les revenus s’écoulaient avec une rapidité effrayante, et par une voie si étrange, que les meilleures têtes de la communauté s’étaient presque détraquées à force d’y rêver.

Chaque matin, la dépense s’ouvrait pour recevoir d’abondantes provisions. On y voyait entrer d’énormes quartiers de bœuf, des moitiés de porc, des veaux et des moutons tout entiers ; car la règle voulait, et c’était un des articles auxquels on était le plus disposé à se conformer, que la maison fût toujours pourvue de vivres pour trois jours au moins. Mais, on avait beau faire, on se trouvait toujours en défaut ; tout ce qui n’avait pas été consommé dans la journée disparaissait pendant la nuit.

D’abord on soupçonna quelque infidélité de la part des frères-lais, on changea les gardes des serrures, on plaça doubles et triples cadenas ; le désordre n’en continua pas moins.

On en vint jusqu’à se méfier du père dépensier ; on mit des gens en embuscade ; ils ne virent personne s’approcher de la porte, et cependant le lendemain les provisions avaient été enlevées comme de coutume.

On se mit à examiner l’intérieur de la pièce, espérant y découvrir quelque secrète issue. Peine inutile ! en haut, une voûte de pierres bien cimentées ; sur les côtés, des murailles toutes nues et où l’examen le plus scrupuleux ne put faire apercevoir la moindre fente ; pour seules ouvertures, deux étroites lucarnes défendues par des barreaux de fer très rapprochés et garnies de toiles d’araignées qui évidemment n’avaient pas été dérangées depuis dix ans ; en bas enfin, au lieu de plancher, un pavé en dalles énormes et dont chacune, pour être remuée, eût exigé les efforts réunis de plusieurs hommes.

L’affaire s’était ébruitée malgré tous les soins qu’on avait pris pour la tenir secrète, et dans le public on croyait généralement qu’il s’y mêlait un peu de sorcellerie, Il fallait donc, pour l’honneur du couvent, plus encore que pour son intérêt, découvrir la cause cachée du mal.

Entre tous les moyens qui furent proposés pour arriver à ce but, le meilleur parut être celui que le prophète Daniel avait jadis employé dans un cas analogue. Un soir donc, on répandit sur le pavé