Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 12.djvu/210

Cette page a été validée par deux contributeurs.
206
REVUE DES DEUX MONDES.

Qu’il me vint le soupçon d’une infidélité.
La rue où je logeais était sombre et déserte ;
Quelques ombres passaient un falot à la main ;
Quand la bise sifflait dans la porte entr’ouverte,
On entendait de loin comme un soupir humain.
Je ne sais, à vrai dire, à quel fâcheux présage
Mon esprit inquiet alors s’abandonna.
Je rappelais en vain un reste de courage,
Et me sentis frémir lorsque l’heure sonna.
Elle ne venait pas. Seul, la tête baissée,
Je regardai long-temps les murs et le chemin, —
Et je ne t’ai pas dit quelle ardeur insensée
Cette inconstante femme allumait en mon sein ;
Je n’aimais qu’elle au monde, et vivre un jour sans elle
Me semblait un destin plus affreux que la mort ;
Je me souviens pourtant qu’en cette nuit cruelle,
Pour briser mon lien je fis un long effort.
Je la nommai cent fois perfide et déloyale,
Je comptai tous les maux qu’elle m’avait causés.
Hélas ! au souvenir de sa beauté fatale,
Quels maux et quels chagrins n’étaient pas apaisés !
Le jour parut enfin. — Las d’une vaine attente,
Sur le bord du balcon je m’étais assoupi ;
Je rouvris la paupière à l’aurore naissante.
Et je laissai flotter mon regard ébloui.
Tout à coup, au détour de l’étroite ruelle,
J’entends sur le gravier marcher à petit bruit…
Grand Dieu ! préservez-moi ! je l’aperçois, c’est elle ;
Elle entre. — D’où viens tu ? qu’as-tu fait cette nuit ?
Réponds, — que me veux-tu ? qui t’amène à cette heure ?
Ce beau corps, jusqu’au jour, où s’est-il étendu ?
Tandis qu’à ce balcon, seul je veille et je pleure,
En quel lieu, dans quel lit, à qui souriais-tu ?
Perfide ! audacieuse ! est-il encor possible
Que tu viennes offrir ta bouche à mes baisers ?
Que demandes-tu donc ? par quelle soif horrible
Oses-tu m’attirer dans tes bras épuisés ?
Va-t-en ! retire-toi, spectre de ma maîtresse !
Rentre dans ton tombeau si tu t’en es levé ;
Laisse-moi pour toujours oublier ma jeunesse,