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à 6 et à 8 pour 100, l’Échiquier avait de l’argent à 3 pour 100. Mais les accroissemens les plus rapides du crédit ne remontent pas au-delà de la période révolutionnaire : il s’est développé chez nos voisins par la nécessité de soudoyer la guerre, chez nous par la nécessité d’en acquitter la rançon.

La même cause qui a fait la force de l’administration en France a donné, en Angleterre, au crédit public, une vigoureuse impulsion. Chez ce peuple, où tout ce qui est du pouvoir se localise, où le gouvernement n’a que la surveillance, et n’a pas l’action au dedans, le mécanisme financier, par exception au caractère national, procède de la plus vigoureuse centralisation.

En premier lieu, les capitaux se trouvent concentrés dans un petit nombre de mains. La terre, dans l’Angleterre proprement dite, est divisée entre quarante à cinquante mille propriétaires, tandis que la France en compte six millions. Une masse de 699,000,000 fr. de rente se partage entre deux cent soixante-dix-neuf mille porteurs, ce qui donne 2,500 de rente pour chacun. Chaque division du travail a son centre particulier : à Manchester, la filature et le tissage du coton ; à Leeds, la fabrication des étoffes de laine ; à Birmingham, les ouvrages de fonte, de fer et d’acier ; à Newcastle, le commerce du charbon. Le commerce britannique n’ouvre que deux entrepôts où viennent s’entasser les produits des deux mondes, Londres pour l’Orient, et, pour l’Occident, Liverpool ; et là encore, il a sa ville à lui dans les docks, ville murée et gardée qui tient sous clé marchandises et vaisseaux. Trois ou quatre cents banques vont porter la circulation du numéraire dans les moindres districts ; mais la banque d’Angleterre, comme une pompe foulante et aspirante, rattache de gré ou de force tous ces satellites épars à son propre mouvement. Elle bat monnaie, arbitre le taux du change et règle, quand il lui plaît, jusqu’à l’étendue des spéculations privées.

En Angleterre, rien ne se fait par le gouvernement, de ce qui peut être fait par les individus ou par les associations privées. La société se meut, pour ainsi dire, en dehors de l’état, qui se borne à constater et à contrôler la marche des choses, sans prétendre la diriger. C’est ce qui explique la lenteur avec laquelle il modifie ses traditions. Il faut que tout le monde et que chacun ait pris sa part d’un progrès accompli, avant que le gouvernement songe à se l’approprier. Il n’y a pas trois ans que la trésorerie délivrait encore ses récépissés en latin barbare, et faisait ses comptes à l’aide de tailles en bois, selon la méthode du vieil Échiquier normand.