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toujours chez lui les dissidences de principes, ce que le ministère de M. Molé a consommé avec autant de bonheur et de profit pour la royauté que pour lui-même ? Question oiseuse, s’il est vrai que cette administration hétérogène ne put se maintenir que durant le péril de la lutte, et que la paix en dut briser le faisceau si mal uni. M. Guizot n’eût pas, nous le croyons, personnellement repoussé l’amnistie (on sait qu’il l’avait antérieurement acceptée comme base de négociation avec un loyal maréchal) ; mais il eût peut-être rencontré bien près de lui des irritations et des exigences intraitables ; peut-être aussi les deux chefs de ce ministère auraient-ils long-temps reculé, sans s’en rendre parfaitement compte, devant l’idée de dénouer, par un acte décisif de pacification, une situation complexe et temporaire, devant la crainte de faire succéder les complications ministérielles aux embarras d’un autre genre heureusement surmontés.

En effet, les incompatibilités de nature et de génie se fussent révélées chaque jour plus vives et plus profondes, à mesure que l’on serait arrivé à pouvoir, avec sécurité, prendre parti sur les questions de personnes et d’avenir. L’unanimité aurait disparu avec ces périls en face desquels il n’y a jamais deux partis pour les gens de cœur.

Une situation exceptionnelle et orageuse avait seule rendu possible la combinaison hybride du 11 octobre ; aussi s’explique-t-on difficilement que, dans des circonstances toutes différentes, l’espoir de le reconstituer ait été sérieusement embrassé par M. Guizot : ou ses ouvertures à son ancien collègue, en mars 1837, étaient de pure courtoisie, ou il faudrait y voir l’une de ces démarches inspirées par les difficultés du jour, et qu’on regrette le lendemain. Un esprit tel que le sien ne pouvait ignorer que le propre des situations pacifiques et régulières est de fixer l’attitude des hommes, et de faire reprendre à chacun son centre de gravité.

L’établissement politique de 1830 avait parcouru des phases très distinctes. Les deux forces révolutionnaire et bourgeoise, l’une belliqueuse, l’autre pacifique, s’étaient d’abord fait équilibre dans les deux premiers cabinets de la royauté nouvelle. Au 13 mars 1831, l’idée bourgeoise se produisit confiante et souveraine. Seule elle parla, seule elle agit. Aussi le 13 mars est-il la seule date qui conserve une véritable autorité, et comme un caractère sacramentel aux yeux des classes moyennes. Le ministère du 11 octobre 1832 tira sa force de l’héritage de Casimir Périer, dont il se portait continuateur ; mais à mesure que s’éclaircit l’horizon, son homogénéité tendit à se dissoudre. Il dut bientôt demeurer évident que la lutte de l’idée