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DU POUVOIR EN FRANCE.

tisme de la tribune et relever l’intelligence de sa subordination en face de la force des armes.

Ces hommes politiques, étrangers par leurs antécédens, appelés par leurs sympathies, qui, la veille du jour où ils se réunirent pour la première fois au Palais-Royal en conseil ministériel, comprenaient la révolution de juillet d’une façon si différente, et s’efforçaient d’imprimer aux évènemens des directions si peu concordantes, ne pouvaient manquer de laisser percer bientôt entre eux des incompatibilités de tout genre. Quel lien rattachait M. Dupont (de l’Eure), puritain politique, esprit raide et court, à M. Molé, esprit conciliant et pratique, sans autre passion que celle des grandes affaires ? Comment tenir long-temps attablés autour du même tapis M. Dupin et M. Guizot, ces deux pôles opposés du monde des gens d’esprit ? Comment M. de Talleyrand pouvait-il se présenter avec bienséance au milieu de cette garde en jaquette, toute noire encore de poudre et toute haletante du combat ? et qu’y avait-il de commun entre le libéralisme expansif et béat de M. de Lafayette et le libéralisme didactique et serré de M. de Broglie, l’un vivant des applaudissemens de la foule et des triomphes en plein soleil, l’autre ne se développant à l’aise qu’à l’ombre de la docte approbation dispensée par un cercle intime et restreint ?

Tout cela était à peine pour durer un jour : rien de tout cela, néanmoins, ne fut inutile. Il fallait au dedans contenir la révolution, au dehors la faire accepter. Chacun servit à cette œuvre selon le degré et la nature de son influence. Tel dit aux clubs : Ne bougez pas, car me voici ; tel autre dit à l’Europe : Acceptez mon nom pour gage. En trois mois, les plus grands obstacles furent aplanis par ces deux forces diplomatique et révolutionnaire, qu’il était si important, mais en même temps si difficile de faire jouer ensemble.

Respecter inviolablement le droit public de l’Europe, armer les intérêts contre les passions ; se montrer nécessaire pour devenir fort ; légitimer par son habileté ce que les uns considéraient comme un accident de la fortune, les autres comme une tentative préméditée de l’ambition ; s’appuyer sur les influences financières, à défaut des influences territoriales, pour arriver à ce point de fondre les unes dans les autres en réduisant la révolution dynastique à une large extension de la classe gouvernante : telle fut la pensée qui plana dès l’abord au-dessus de ce conseil dénué d’homogénéité et d’expérience. Pensée hardie et d’un succès peu vraisemblable alors, qui ne se révéla qu’avec réserve, ne procéda qu’avec prudence, usant