Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 12.djvu/131

Cette page a été validée par deux contributeurs.
127
REVUE. — CHRONIQUE.

depuis lors que l’armée d’Espartero, accourue en toute hâte au secours de la capitale, a laissé le prétendant maître d’une vaste étendue de pays et des sources du Tage ; c’est depuis lors qu’il a pu remporter une victoire complète sur un corps d’armée inférieur en nombre à ses forces, victoire qui a relevé les espérances des siens, et lui a valu, avec un grand nombre de prisonniers, cent cinquante caisses de munitions, deux cents chevaux et cinq mille fusils. Enfin, cette victoire a facilité la dernière expédition de don Carlos sur Madrid, qui, bien que repoussée, n’a pas seulement coûté fort cher au gouvernement constitutionnel, mais a laissé des traces profondes dans toute la vallée du Tage jusqu’à Aranjuez. Et ce n’est pas tout. Le chef carliste qui avait pris Ségovie a évacué cette ville et reporté ses positions un peu en arrière, il est vrai ; mais voilà six semaines que ce chef domine la route de Burgos, le cours du Duero, une province dans laquelle il n’y avait eu, depuis le commencement de la guerre civile, que de misérables bandes, et où s’organise maintenant une armée ! C’en est assez pour faire douter de plus en plus du salut de l’Espagne, et préparer les esprits les moins pessimistes à un dénouement que les observateurs politiques les mieux placés pour en bien juger n’ont pas cessé, depuis deux ans, de déclarer inévitable.

Le travail intérieur des partis qui divisent le libéralisme espagnol, n’en continue pas moins activement au milieu des fureurs de la guerre civile, comme si la cause constitutionnelle était plus assurée de son avenir. L’assemblée des cortès est sur le point de se séparer, le pays légal va procéder aux élections qui doivent, pour la première fois, donner à l’Espagne une double représentation, un sénat et une chambre de députés. Les Martinez de la Rosa, les Toreno, les Isturitz, tous les noms les plus marquans du parti modéré, figurent sur les listes de candidats, et une opinion puissante qui, depuis la révolution de la Granja, a cessé d’être représentée dans le gouvernement et dans les cortès, ressaisira la parole et reparaîtra en force dans les deux chambres. Après tant de malheurs et de fautes, dont il n’est pas responsable, ce parti sera-t-il assez énergique, assez habile, assez fort pour les réparer ? et lui sera-t-il donné, maintenant, de guérir les plaies profondes qu’il a vues se former, et dont il n’a pas su arrêter les progrès, quand les destinées de l’Espagne étaient confiées aux mains de ses plus grandes célébrités ? C’est ce dont il est malheureusement permis de douter.

Un journal de la gauche, dans la préoccupation du triomphe éventuel de don Carlos, triomphe infaillible à ses yeux, rétablissait du même coup don Miguel à Lisbonne, et citait, à l’appui de son opinion, des dépêches dont le secret aurait transpiré. Nous le croyons mal informé. La solidarité qu’il suppose entre ces deux prétendans n’existe pas dans la réalité, et l’Europe absolutiste les sépare certainement dans ses espérances comme dans ses vœux, car M. de Metternich serait fort disposé à reconnaître dona Maria sur le trône de Portugal ; d’un autre côté, on ne voit pas que le parti miguéliste songe à profiter pour son compte de la guerre que se font actuellement les deux fractions du parti contraire. C’est une observation qui n’a pour but