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REVUE. — CHRONIQUE.

vraiment assez singulier que l’auteur de l’article dont nous voulons parler ne s’en soit pas aperçu. Sa réputation d’habileté, car ce doit être un habile, y perdra, et décidément on ne saurait être plus malheureux, à moins toutefois qu’on ne doive tenir à perfidie ce qu’il ne faut sans doute attribuer qu’à maladresse. De toute façon, M. de Montalivet n’en peut être bien flatté. Si on ne l’attaque pas dans la personne de M. Thiers, ou lui fait jouer un rôle peu honorable pendant toute la durée du ministère du 22 février ; on ne lui laisse que la signature et les détails de son département, pour lui refuser toute influence politique, et quand on prête au président du cabinet dont il faisait partie tant de fautes et d’erreurs, on est bien près d’en faire juger presque aussi coupable celui qui a dû les voir, les condamner, et n’en a pas assez tôt décliné la lourde solidarité.

Faut-il donc, après l’expérience qu’on en a faite l’hiver dernier, que tous les cabinets aient ainsi leur Fonfrède et leur Journal de Paris ? qu’un zèle indisciplinable et d’autant plus outré qu’il est plus nouveau, s’attache à rétrécir autour de chaque ministère le cercle des amis ou des neutralités inoffensives et patientes ? Faut-il enfin qu’une jeune école de publicistes, qui se dit appelée à réformer la presse et qui se proclame exclusivement gouvernementale, ne croie pouvoir mieux faire, pour relever le gouvernement de son pays, que d’avilir, en intention du moins, un passé qui avait incontestablement le mérite de tendances meilleures, au profit d’un présent qui, sous bien des rapports, se félicite d’avoir adopté sa devise et repris son œuvre inachevée.

Non, le ministère du 15 avril n’aurait rien à gagner en faisant attaquer M. Thiers dans ses journaux, et il est, nous en sommes sûrs, complètement étranger à une boutade qu’il serait forcé de désavouer, s’il l’avait suggérée. Quand il engagera en son nom, sur des questions sérieuses, une polémique manifeste, il le fera noblement, et d’une manière qui soit digne de lui comme de ses adversaires. À qui persuaderait-on que l’esprit de M. Molé méconnaît celui de M. Thiers, et ne lui rend pas toute la justice qui lui est due ? À qui fera-t-on croire que M. de Montalivet renie la part légitime qu’il a prise, comme ministre de l’intérieur, à la suspension de la revue du 28 juillet 1836, un mois après l’attentat d’Alibaud, quand les imaginations effrayées voyaient partout des pistolets et des poignards régicides, et quand une détestable émulation germait sourdement dans la tête fanatisée d’un Meunier ? Ce n’est pas une réfutation pied à pied que nous entreprenons ici, et nous n’avons ni la mission ni l’envie de défendre la suspension de la revue anniversaire de juillet, dont aucun des membres de l’administration du 22 février ne décline la responsabilité. Mais, en vérité, nous avons conservé la mémoire que d’autres paraissent avoir perdue ; nous n’avons pas oublié qu’une balle a effleuré la tête du roi, et que le sang de ses fils a coulé, la première fois que son courage habituel lui a fait rompre cette prétendue mise en charte privée, qu’on voudrait imputer à crime au 22 février. Et ce nouvel attentat n’a-t-il pas eu les plus funestes conséquences pour la royauté comme pour le pouvoir en général ? N’est-ce