Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 12.djvu/12

Cette page a été validée par deux contributeurs.
8
REVUE DES DEUX MONDES.

i.
CARREL HOMME POLITIQUE.

Les partis n’admirent dans un homme politique que l’unité et l’immobilité, « à laquelle, dit Carrel dans son Histoire de la contre-révolution en Angleterre, ils prétendent tous si follement. » À leurs yeux, la souveraine grandeur est d’avoir jeté l’ancre sur le sable mouvant des opinions humaines, et d’avoir forcé l’esprit, si grand par ses vicissitudes mêmes, à rester immobile pendant que tout marche et que tout change dans un monde qui ne s’arrête jamais. Non, l’immobilité ne sera jamais de la grandeur. L’esprit qui prétend ne pas changer est tout simplement un esprit orgueilleux, qui veut faire d’une incapacité une supériorité. Il ne faut être immobile que dans sa conduite morale, parce que les lois qui la règlent ne sont point sujettes aux disputes des hommes. Mais là où la certitude absolue n’existe pas dans les choses, comment l’immutabilité serait-elle un don supérieur de l’esprit ?

Peut-être m’accusera-t-on d’un certain côté de diminuer mon illustre ami en disant qu’il n’était pas de ces esprits qui se rendent esclaves de leur intelligence pour en être plus maîtres : mais je ne puis mentir à mes souvenirs. Les confidences de Carrel n’ont pas laissé en moi une trace médiocre, et je ne fais ici que lire dans ma mémoire ce que sa parole y a imprimé. Carrel avait l’unité du caractère, je dirai l’immobilité si l’on veut, car s’il est beau d’être immobile, c’est surtout dans le caractère, la seule chose par où les autres puissent être assurés de nous. Il l’était dans sa conduite morale ; il l’a été, quoique moins naturellement et moins librement, dans sa conduite politique. Mais je lui ai connu l’esprit le plus souple et le plus étendu, et non un esprit immobile.

Il n’y a pas à s’étendre sur sa loyauté privée ; c’était un fait de notoriété universelle. La probité, d’ailleurs, est une qualité de devoir, et qui n’est peut-être pas assez difficile, même dans ce temps-ci, pour qu’on loue un homme d’en avoir eu, et qu’on ne méprise pas profondément un homme qui n’en a pas ou qui n’en a plus. Mais l’unité de conduite, dans l’homme politique, est autrement difficile et admirable. Envisager seulement en quoi elle consiste, dans les circonstances particulières où s’est trouvé Carrel, est effrayant. Résister à ses propres lumières, ne pas fléchir, ne pas laisser voir ses