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LE PORTUGAL AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE.

avec Rome, chassa les jésuites, réforma l’enseignement, contint l’inquisition, en faisant brûler pour son compte l’infortuné Malagrida, atteint d’hérésie touchant l’antéchrist et l’immaculée conception de sainte Anne ; il descendit quelquefois, au gré de ses haines, aux plus misérables arguties théologiques, pour s’appuyer bientôt après sur les plus redoutables principes des libres penseurs de son temps. Esprit confus et cœur de bronze, qu’il faut moins envisager pour sa gloire dans les détails de son ministère qu’au sein de la grande catastrophe où son génie sembla lutter contre les élémens et contre le ciel, évoquant une ville nouvelle du sein de ses ruines enflammées, imprimant au royaume, par la rigueur de ses châtimens, une épouvante plus profonde que celle qu’on éprouvait des plus terribles commotions de la nature.

Pombal supposait à sa patrie des ressources qu’elle n’avait plus ; le Portugal était devenu l’accessoire de ses colonies ; il ne pouvait échapper à l’Angleterre qu’en se rattachant à l’Espagne. D’ailleurs, la première condition pour régénérer ce pays, dans le sens des intérêts modernes, était de modifier profondément l’ensemble de son organisation municipale, débris du moyen-âge, qui, tout en ayant perdu sa vie intime, n’en est pas moins resté jusqu’aujourd’hui un invincible obstacle aux réformes. Il eût fallu commencer par refondre toute l’administration locale, et Pombal ne parut guère se préoccuper que des sommités. Ses efforts, presque tous concentrés sur Lisbonne, corrigèrent sans doute beaucoup d’abus, et plusieurs de ses créations sont à coup sûr très dignes d’éloges ; mais il ne remua pas le sol plus que ne l’ont fait depuis quelques années les réformateurs libéraux. L’organisation locale a survécu à Pombal, comme elle résiste encore aux partisans de la constitution de 1821 et de la charte de 1826. C’est donc là ce qu’il faut esquisser d’abord pour saisir la physionomie de ce coin de terre, et bien apprécier ces révolutions à la surface, dont un bataillon décide l’issue.

Le régime féodal étreint bien plus étroitement que l’Espagne, cette terre qui en a perdu sans doute le sens primitif, mais où toutes les existences semblent s’y lier encore. C’est ainsi qu’avant les évènemens de ces derniers temps, la puissance administrative et judiciaire était, comme au xive siècle, fondée sur le principe de la possession du sol. C’était comme suzerain que l’exerçait le roi lui-même, c’était en cette qualité que, sur la proposition d’un tribunal suprême de justice, il choisissait les magistrats municipaux, les corrégidors et les juizes de fora. Le même pouvoir appartenait aux vassaux immédiats