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nifeste toutefois qu’à de rares intervalles, avec une dignité concise, car un des principaux mérites de cet itinéraire est d’offrir au lecteur un récit où les choses parlent seules, sans être offusquées et interrompues par les vaniteuses inquiétudes d’une personnalité de mauvais goût.

C’est le 22 avril 1834 que le duc de Raguse, quittant Vienne, prit la route de Pesth, conduit par la poste des paysans, dont l’économique rapidité peut faire envie à la France. Bude et Pesth, qui occupent les deux rives du Danube, présentent un contraste frappant. Bude est la ville des autorités, la ville du gouvernement ; elle est aussi belle que sa situation le comporte, et de beaux palais la décorent. Pesth est la ville de l’opposition, des novateurs, du commerce et de l’industrie. La Hongrie a gardé tout-à-fait l’empreinte du moyen-âge. La propriété y est basée uniquement sur la loi des fiefs. Cette loi régit le pays dans ses conséquences extrêmes ; tout vient de l’état, tout retourne à l’état après l’extinction de la famille et des descendans de celui qui a reçu l’investiture. D’un côté, le droit de retrait est sans limites ; de l’autre, le propriétaire par succession ou par investiture ne peut être dépossédé par ses créanciers ; de là, la rareté des transactions civiles ; ni prêts, ni ventes, ni affaires. Une réforme des lois est indispensable en Hongrie, et fera de ce pays un des plus riches de l’Europe. Déjà le mouvement d’ascension est tel que, malgré les obstacles qu’il rencontre, il y a progression dans la valeur de toute chose.

Après un court séjour à Pesth, le voyageur continua sa route pour la Transylvanie. Il entra alors dans la véritable Hongrie, et traversa des plaines immenses, connues sous le nom de Pousta ; là, point d’habitans, point de culture ; les chemins sont tracés au hasard et suivant le caprice du voyageur ; des plaines désertes, et des villages rares, mais immenses, dont la population dépasse celle de toutes les villes de France du troisième ordre. Au printemps, chaque habitant sort de son quartier d’hiver, et va camper sur les terres qu’il doit labourer. Pendant toute la semaine il reste à ses travaux, et le village entier ne renferme plus que les femmes, les enfans en bas-âge et quelques domestiques. Le samedi soir, le chef de chaque famille retourne à sa maison, en laissant au champ tous ses instrumens de travail ; mais, le lundi au matin, il revient continuer son exploitation.

Quand il eut visité l’établissement de Mezohegiés, qui offre le plus beau haras de la monarchie autrichienne, M. le duc de Raguse vit la Hongrie prendre, au-delà de la Maros, une physionomie nouvelle ;