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AUSONE ET SAINT PAULIN.

la limpidité et la placidité de ses ondes inspirent à Ausone quelques vers qui semblent, en reproduisant le calme du fleuve, imiter son murmure presque insensible.

Et amena fluenta
Subterlabentis tacito rumore Mosellæ.

Mille traits de cette description sont vrais encore à cette heure : les filets disposés pour prendre le saumon, les bateaux traînés par des cordes attachées au cou des remorqueurs et qui remontent sans cesse le fleuve, les vendangeurs suspendus aux rochers. Les détails sont d’une telle exactitude, que M. Cuvier s’est servi du poème d’Ausone pour déterminer plusieurs espèces de poissons.

Ces descriptions n’ont du charme et un peu d’originalité que là où elles abandonnent la précision technique, pour chercher à rendre, par l’indécision des contours et l’incertitude des images, quelques accidens singuliers de la nature. Les poètes des époques naïves peignent les phénomènes les plus tranchés, les objets les plus simples, le lever, le coucher du soleil, le jour, la nuit, le torrent, la mer, la tempête. Dans les époques plus avancées, la poésie se plaît aux spectacles plus compliqués et plus vagues, elle aime à reproduire en nous les sentimens confus et mélangés que ces spectacles éveillent. Ainsi Virgile peindra le voyageur qui voit ou croit voir la lune à travers les nuages ; Ovide et Lafontaine, le jour douteux aux prises avec les ombres, et Châteaubriand versera la lueur de la lune sur la cime indéterminée des forêts.

Les temps de décadence veulent continuer ces conquêtes de la poésie sur ce qu’il y a de plus fugitif et de plus insaisissable dans la nature. Ils redoublent toujours d’effort et de recherche. Ils font ressortir le bizarre et jouent pour ainsi dire avec lui. Cette prédilection pour les effets indécis et compliqués, étranges et quasi fantastiques, se retrouve dans les vers suivans, qui décrivent les approches du soir descendant sur les rives de la Moselle.

« Lorsque le fleuve glauque imite la couleur des collines, les eaux paraissent verdoyantes, et le fleuve semé de pampres. Quelles teintes se répandent sur les ondes, lorsque Hespérus allonge les ombres du soir, et qu’une montagne verte semble remplir le lit de la Moselle ! Les sommets nagent sous les flots légèrement ridés ; le pampre absent s’y balance ; la vendange se déploie sous les eaux limpides. Le nocher est trompé par ces illusions, tandis qu’il navigue, sur son batelet